Les relations entre la France et Israël ont toujours été marquée par l’ambivalence française. D’un côté la France se doit d’avoir de bons rapports avec l’un des pays les plus important du Moyen Orient et de l’autre elle se doit de conserver de bonnes relations avec le monde arabe.
Avant la naissance d’Israël
La France ne s’est jamais intéresser au Sionisme, à part pendant la Première Guerre Mondiale ou le soutient du retour des Juifs en Palestine permettait d’affaiblir l’Empire Ottoman, alors allié de l’Allemagne. Au lendemain de la guerre, l’intérêt français pour le Sionisme est redevenu nul.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la France mue à la fois par son sentiment de culpabilité vis-à-vis des Juifs et sa volonté de s’opposer à l’hégémonie anglaise au Moyen Orient suite à son retrait de Liban et de Syrie. La France a alors soutenus matériellement et officieusement l’immigration juive vers la Palestine sous mandat britannique en apportant notamment une aide logistique aux navires transportant des immigrés juifs clandestins, comme l’Exodus ou l’Altalena.
La IVe République et Israël
Après-guerre : la France et le Yichouv
Les relations entre la France et le Yichouv (communauté juive en Terre d’Israël avant la création de l’État) sont ambiguës au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Le mouvement sioniste revêt à la fin de la guerre une « orientation française » pour s’assurer le soutien du gouvernement Français. En effet, à l’époque beaucoup de Juifs avaient une vision romantique et idéalisée de la France et de son histoire. Cette politique française visait notamment à faciliter l’immigration des Juifs d’Europe en Terre d’Israël et à obtenir un soutien important pour la création, puis à la reconnaissance, de l’État juif.
Le gouvernement français a permis aux dirigeant sionistes de mener des actions en France, d’envoyer des armes au Yichouv et d’organiser le départ de bateaux vers la Palestine à partir des ports français. La France a voté en faveur du plan de partage de la Palestine mandataire par l’ONU le 29 novembre 1947.
L’aide au mouvement sioniste était soutenu par certains socialistes souvent Juifs et anciens résistants, comme Léon Blum, René Mayer ou Daniel Mayer, par le ministre de l’Intérieur de l’époque Édouard Depreux et par l’armée. Le Quai d’Orsay, siège de la diplomatie française, avait beaucoup moins de sympathie pour le mouvement sioniste et une attitude beaucoup plus ambivalente.
Le Quai d’Orsay craignait notamment que son éventuel soutien au mouvement sioniste lui attire les foudres du monde arabe et provoque une guerre au Proche-Orient, où la France avait beaucoup à perdre. Les relations privilégiés entre la France et les Arabes s’illustrent notamment par son offre d’asile au grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini et ce malgré sa collaboration avec les Nazis et qu’il fasse l’objet d’une demande d’extradition pour ses crimes de guerre.
La France reconnaît de facto Israël le 24 janvier 1949. La reconnaissance de jure n’intervient que le 20 mai 1949, un an après sa déclaration d’indépendance. Il y avait plusieurs désaccords entre les deux pays : le statut de Jérusalem et des Lieux saints, l’avenir des institutions françaises en Israël. Ce dernier sujet tenait particulièrement à cœur au consul général de France à Jérusalem, René Neuville. La France conditionna donc la reconnaissance de l’Etat d’Israël au règlement de cette dernière question.
On parle de la théor des « trois France » face à Israël.
— la France « fille aînée de l’Église », qui se préoccupe du sort de Jérusalem et des Lieux saints.
— la France « puissance méditerranéenne » qui se préoccupe de ses intérêts dans le monde arabe, surtout en Afrique du Nord et au Levant.
— la France « humaniste et résistante », pays de de la liberté et de l’émancipation des Juifs et plus grande communauté juive d’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Elle a à cœur de faire prévaloir les droits de l’Homme.
Cette théorie souligne les trois axes de la politique française à l’égard d’Israël. Elle explique ainsi pourquoi la France a attendu près d’un an avant de reconnaître officiellement l’État juif. La France « humaniste et résistante » était pour une reconnaissance rapide de l’État d’Israël, mais la France « puissance méditerranéenne » s’y opposent par crainte des répercussions dans le monde arabe tandis qu’au nom des intérêts de la « fille aînée de l’Église », le Quai d’Orsay conditionne toute reconnaissance d’Israël à la protection des Lieux saints et des établissements français.
Une alliance concrétisée à Suez
Suez fait à la fois référence fois au canal qui relie la Méditerranée à la mer Rouge, mais également à la coalition militaire qui a tenté de s’en emparer en 1956. Cet événement a marqué un point culminant des relations entre la France et le jeune Etat d’Israël.
Dans un soucis de garder de bonnes relations avec ses partenaires Arabes, la France a préféré ne pas définir publiquement ses liens avec l’Etat d’Israël, bien qu’elle ait amorcé de timides relations de coopération militaire dès l’indépendance d’Israël en 1948. A partir de 1956 et l’attaque conjointe de l’Egypte, les relations entre la France et Israël sont devenues une véritable alliance stratégique au Proche-Orient, prenant la forme d’un véritable partenariat d’assistance militaire et diplomatique.
A l’époque, de nombreuses analyses supposait que la collusion entre les gouvernements français et israélien ne tiendrait que le temps que l’ordre soit rétabli en Algérie. La coopération s’est en réalité maintenue pendant près de dix ans. Ce rapprochement s’est même étendu alors que la France retrouvait peu à peu son influence perdue au Proche-Orient suite aux indépendances du Liban et la Syrie.
IVe République
Analyse contextuelle
La France et le jeu des alliances au Proche-Orient
Après la Seconde Guerre Mondiale, alors que la France venait à peine de retrouver sa souveraineté nationale, elle perdait une à une ses possessions en Orient. D’abord, sous la pression des Etats-Unis, la Syrie et le Liban en 1946, après plus de cent ans de présence dans la région. Le Maghreb subissait lui aussi ses premiers élans nationalistes et indépendantistes.
La doctrine Truman de 1947, née des événements ayant secoué la Grèce, la Turquie et l’Iran dès la fin de la guerre et qui ont suscité un intérêts des Américains pour la région en réponse aux menaces soviétiques. Le Royaume-Unis ne se retrouve donc pas sans rivale dans la région, pour ce qui est des hydrocarbures ou du canal de Suez.
A l’aube de la Guerre Froide, les Etats-Unis veulent barrer au plus vite la route à l’expansion du communisme au sein du monde arabe et dans les zones pétrolifères. Animée par Foster Dulles, cette orientation va prendre le nom de containment. Les Etats-Unis encouragent alors la création d’un système de sécurité collective pro-occidental qui puisse freiner l’influence soviétique, comme l’OTAN en Europe. Le ‘Pacte de Bagdad’ est crée en 1955 et compte parmi ses membres l’Irak, l’Iran, le Pakistan, la Turquie et même le Royaume-Uni.
Pour la France, ce Pacte de Bagdad est une violation à l’esprit de la déclaration tripartite du 29 mai 1950. Cet accord comprenait un engagement tacite de dialogue mutuel entre la France, les Etats-Unis et la Royaume-Unis concernant la gestion des dossiers touchant au Proche-Orient. Le Pacte de Bagdad exclue la France du jeu d’influence de la région au profit des Britanniques, alliés des Etats-Unis pour ancrer cette nouvelle alliance stratégique.
Le rapprochement de l’Egypte et de l’Union Soviétique mina un peu plus la position de la France dans la région. En réponse au Pacte de Bagdad, le régime égyptien du président Nasser se rapprocha de l’Union Soviétique avec qui il entretint une coopération privilégiée. L’Union Soviétique su s’attirer la sympathie de l’Egypte en jouant sur les querelles de vente d’armes américaines à l’Egypte ainsi que la fibre du panarabisme. L’Union Soviétique conforte ainsi ses positions dans la région.
La France, exclue des jeux d’alliances de la Guerre Froide, se rapproche alors du jeune Etat d’Israël.
L’Etat d’Israël dans le monde
Après l’indépendance d’Israël en 1948, le principal souci des dirigeants a été de faire reconnaitre le jeune Etat Hébreu dans le monde. La France avait voté pour la création de l’Etat d’Israël en 1947 à l’ONU, mais n’a reconnu pleinement ce nouvel Etat qu’en 1949, après avoir trouvé un accord sur les dédommagements pour les établissements religieux français après la guerre israélo-arabe de 1948. Israël se garde de trop se rapprocher d’une grande puissance, dans l’espoir que les dirigeants de l’Union Soviétiques permettent aux juifs présents sur leur territoires de faire leur Alyah.
Depuis sa naissance, l’Etat d’Israël constitue alors une sorte d’îlot autarcique en état de tensions avec ses voisins. La déclaration tripartite entend limiter les ventes d’armes à destination des différents pays de la région, mais la situation se dégrade en 1951.
Malgré les troupes britanniques encore stationnées en Egypte, les raids de commandos palestiniens en Israël augmentent de manière significative. Chaque infiltration est suivie de manœuvres de représailles israéliennes. La situation est de plus en plus compliquée, de part le nombre de victimes que part les tensions qui augmentent entre les belligérants.
Dès 1951, le Premier ministre israélien Moshé Sharett demanda notamment l’application d’une politique de la riposte, dans le but d’ébranler psychologiquement tout éventuelle tentative d’incursion. En 1954, le Royaume-Uni retire ses troupe d’Egypte, conformément au traité anglo-égyptien de 1936.
En 1952, un putsch mène au pouvoir en Egypte le Conseil de Commandement de la Révolution et son chef Gamal Abdel Nasser. Deux ans plus tard, les troupes britanniques quittent l’Egypte et Tsahal se retrouve directement face à l’armée égyptienne. Ce départ des troupes britanniques en automne 1955 provoque la rupture du statut quo.
Ce départ des contingents britanniques permet une alliance entre la Jordanie, la Syrie et l’Egypte. Alliance qui pourrait être militairement fatale à l’Etat d’Israël. De plus, les Etats-Unis et le Royaume-Unis ne peuvent pas livrer massivement d’armes à Israël au risque de briser le pacte de Bagdad.
Israël se retrouve alors isolé et ses dirigeants craignent une menace potentielle venant de l’Egypte et de ses alliés. Les dirigeants israéliens envisagent alors de s’allier avec une grande puissance, pour obtenir des ventes d’armes importantes et de qualité. Pour le général Moshe Dayan, cette alliance devait assurer une supériorité militaire à Israël mais plus encore, lui donner une puissance dissuasive contre toute attaque. En 1955, les Egyptiens reçoivent une importante livraison d’armes tchèques. Ces nouvelles armes modifient le rapport des forces entre l’Égypte et Israël. L’Egypte se dote alors d’un arsenal surpassant technologiquement celui d’Israël.
Il y avait également une volonté de la part des dirigeants israéliens de désenclaver le pays par l’établissement de coopérations diverses et étroites. Israël était exclu à la fois du monde Arave et de l’Occident, il cherchait donc à développer des contacts économiques et culturels avec un ou plusieurs partenaires d’importance pour contourner cet ostracisme politique et militaire. La France fut alors considérée comme l’allié idéal, elle cherchait à reprendre pied au Proche-Orient et en échange des objets précités, Israël pouvait toujours l’aider.
La communion d’intérêts communs
Dans les années qui suivent la Seconde Guerre Mondiale, les relations entre la France et Israël sont très irrégulières. Sur le plan diplomatique, la France est partagée entre amitié bienveillante et franche hostilité, surtout quand il s’agit de défendre ses intérêts.
Dès 1946, David Ben Gourion et d’autres membres de la Haganah avaient pu trouver refuge à Paris alors qu’ils étaient recherchés par les Britanniques en Palestine. Ils organisaient des vagues d’immigration juive vers le futur Etat d’Israël, ce qui était jugé illégal par le Mandat Britannique. La France, elle, se montrait complaisante. Le soutient français majeur fut lors du vote à l’ONU en 1947.
La diplomatie française compte de nombreuses contradictions vis-à-vis de la reconnaissance de l’Etat d’Israël. Si celle-ci fut prononcée de facto en janvier 1949, elle ne le fut de jure (complète et définitive) que le 20 mai 1949, uniquement après un accord sur concernant les compensations pour la destruction des édifices religieux français lors de la guerre d’indépendance. Les français voulaient retarder au maximum la reconnaissance pleine et entière de l’Etat d’Israël pour éviter les critiques à l’ONU. La reconnaissance d’Israël pouvait également entrainer en rétorsion la formation d’un bloc favorable aux indépendances dans le Maghreb (Maroc, Tunisie et Algérie).
Malgré tout, les relations entre la France et Israël continuaient d’être cordiales, cependant ce n’était, à l’époque, pas une véritable alliance, cette dernière s’étant constituée par la suite de manière très progressive.
Des liens soutenus existaient entre l’armée française et du secteur de la défense. Après la Seconde Guerre Mondiale les industries d’armements avaient commencé à faire pression auprès des gouvernements successifs pour qu’ils assurent la survie des arsenaux non dévastés. L’intérêt était avant tout économique, car en étant membre de l’Otan, la France bénéficiait d’une certaine aide américaine pour reconstruire son industrie de guerre. Il y avait aussi le souci d’assurer l’indépendance militaire de la France, cela supposait donc des rentrées financières importantes avec des partenaires privilégiés. L’un des clients de l’époque était Israël. La majeure partie des transactions effectuées étaient secrètes pour ne pas nuire aux intérêts français.
Ces relations commerciales étaient encouragées par les dirigeants des firmes nationales d’armements et leurs relais politiques. En 1955, Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de l’intérieur d’Edgar Faure, multiple les relations avec les officiels israéliens.
Cette politique répondait à la fois dans les impératifs de l’industrie française mais aussi des convictions des hommes. Dès 1954, des luttes nationalistes apparaissent en Algérie. Les dirigeants français pensaient que cette insurrection était directement appuyée par l’Égypte. Selon le raisonnement « si les amis de nos amis sont nos amis, les ennemis de nos ennemis sont nos amis », les ventes d’armes s’accrurent rapidement en faveur d’Israël. Il s’agissait notamment de contrats portant sur les premiers chasseurs Mystère IV. La France, satisfaisant d’une part les besoins de l’industrie de défense en termes de nouveaux marchés d’exportation, et en équipant Tsahal, la France contribue à maintenir un équilibre des forces face aux nationalistes arabes en Egypte.
De nombreux fonctionnaires civils et militaires du ministère de la Défense avaient également une certaine sympathie pour l’État d’Israël. Jules Moch et Pierre Kœnig ont souvent soutenu l’appui militaire fourni et ce, en dépit des réticences arabes ou occidentales. Ces anciens résistants avaient une sympathie pour l’État d’Israël notamment par le souvenir de la Shoah, de la lutte contre l’occupant nazi ainsi que des victoires où s’illustrèrent des combattants juifs comme celle de Bir Hakeim. Ces éléments contribuaient à renforcer les relations entre les deux États. La francophilie de nombreux gradés et fonctionnaires israéliens et la méfiance latente de nombreux militaires français à l’égard du Royaume-Uni et des nationalistes arabes qui s’illustraient de plus en plus dans le Maghreb ne firent que renforcer cette nouvelle amitié franco-israélienne.
Même les socialistes, alors anciens résistants soutiennent cette coopération franco-israélienne naissante. Christian Pineau, socialiste et ministre des Affaires étrangères en 1956, avait une sympathie profonde pour ses anciens camarades déportés, « J’ai toujours eu au fond de moi-même cette idée : le peuple juif a droit à une compensation ». Le futur premier ministre Guy Mollet exprimait lui aussi des amitiés semblables. Dès lors, bien avant leur arrivée au pouvoir, un courant pro-israélien était présent dans une frange de ce parti. En 1951, cette tendance s’était déjà manifestée avec le soutien de l’entrée des travaillistes israéliens au sein de l’Internationale socialiste, malgré les réticences britanniques.
En 1955 avec l’affaire des armes tchèques livrées à l’Égypte, la coopération entre Israël et la France se renforce. Alors que l’Egypte attendait ses premières livraisons, Shimon Peres et David Ben Gourion négociaient désormais ouvertement des achats massifs d’armes françaises. Israël se dote donc dès 1956 d’un arsenal important permettant de rétablir l’équilibre régional des forces.
Un certain de nombre de fonctionnaires français étaient opposés aux liens étroits entre les deux États car ils privilégiaient une « politique arabe » de la France. Une opposition qui tenait principalement sur une volonté de maintenir des liens économiques privilégiés, à l’exemple du pétrole, mais aussi un certain rayonnement culturel dans le Levant. Lors d’oppositions aux ventes d’armes en Israël au ministère des Affaires étrangères, le ministre Christian Pineau a mis son veto. En juin 1956, malgré les protestations de hauts fonctionnaires et de l’opposition américaine, il soutint la livraison de nouveaux chasseurs Mystère IV en Israël. Ces différents soutiens au sein du monde politique et militaire français permirent au jeune Etat d’Israël de se doter rapidement d’un arsenal militaire de qualité.
Pour la France, ce lien lui permettait de faire pression sur l’Égypte qui apportait son aide au FLN algérien. Grâce à sa relation avec Israël, la France avait aussi regagné du terrain dans la région. Bien qu’exclue du pacte de Bagdad par ses partenaires occidentaux, elle venait pourtant de rééquilibrer les forces régionales. Les alliances entretenues par les Etats-Unis et le Royaume-Unis dans le cadre du pacte de Bagdad les empêchaient de livrer des armes à l’État d’Israël, même s’ils souhaitaient également maintenir un équilibre militaire. Les Israéliens avaient réussi à se désenclaver diplomatiquement et militairement et n’étaient plus exclus des jeux d’alliances grâce à leurs liens soutenus avec la France.
La crise du Canal de Suez
Quand Guy Mollet a formé son gouvernement, les nationalistes du Front de libération nationale (FLN) et de son bras armé, l’Armée de libération nationale (ALN) se révoltaient déjà en Algérie. Les indépendances du Maroc et de la Tunisie paraissaient inéluctables aux yeux du gouvernement, il n’en était pas de même pour l’Algérie, alors département français.
Un million de colons français vivaient en Algérie, ce qui renforçait l’idée du maintien du territoire dans le giron national. Cette révolte, dès 1954, constituait une sérieuse épine à la fois dans la politique coloniale française, mais aussi dans ses relations avec les autres pays arabes, solidaires de la cause algérienne.
L’Égypte et le régime nassérien fournissait les indépendantistes en armes. Cet appui transitant via la Libye eut pour effet de tendre les relations avec la France.
Même si l’Egypte affirmait que son soutien était simplement politique, les dirigeants français savaient que ces interférences comportaient aussi un volet militaire. Ils en eurent la confirmation au moment de la capture, au large d’Oran, du navire Athos, chargé d’armes pour l’ALN. Cette situation de tension a encore contribué au soutien à Israël en matière de ventes d’armes.
Au mois de juillet 1956, Gamal Abdel Nasser annonce la nationalisation de la Compagnie de Suez, une décision suivie d’un blocus appliqué aux navires israéliens pour les voies de communication du détroit de Tiran et du canal de Suez.
Cet acte lésait de nombreux actionnaires français et britanniques mais n’était pas un motif suffisant pour intenter une action armée, le canal devant revenir à l’Égypte en 1968. C’était cependant une occasion pour intégrer Israël au sein d’une coalition contre l’Égypte. D’autant plus que la décision du mois d’octobre 1956 de créer un commandement unique des troupes militaires égyptiennes, syriennes et jordaniennes, favorisa l’idée d’une frappe préventive en Israël.
Cette expédition militaire devait porter un coup au régime de Nasser sous couvert de la reprise d’une institution internationale, conformément à la convention de Constantinople. Pour la France, il était évident qu’Israël représentait un partenaire en cas d’attaque contre l’Égypte.
De nombreux politiciens français estimaient que Nasser était à l’origine de la dégradation de la situation en Algérie. À l’exception des communistes et des poujadistes, les partisans du recours à la force en Algérie étaient largement majoritaires au sein du Parlement français. Lors du vote à l’Assemblée nationale concernant une intervention de l’Armée française en Égypte, 386 députés ont voté pour, contre 182 contre.
Avec la multiplication des incursions des fédayins et l’isolement du pays, la population israélienne et sa classe politique réclamaient des mesures de la part du gouvernement. David Ben Gourion, réélu en 1955, ne pouvait pas ignorer ces appels, d’autant plus qu’à la Knesset, le parti Hérout faisait concurrence à la gauche par son discours sécuritaire.
La droite et la gauche, traditionnellement firent cependant front face à l’Égypte. Le premier ministre israélien reçut l’ensemble des chefs des formations politiques à la veille de l’attaque. Il leur a expliqué les raisons et les détails de l’opération (accord de Sèvres), il a obtenu leur appui politique.
Face à un adversaire commun, la coopération franco-israélienne a connu un nouveau renforcement et pris une dimension offensive. En dépit de l’échec de l’opération Kadesh sous la pression des États-Unis et de l’URSS et du renforcement politique de Nasser, qui sorti politiquement vainqueur de l’épreuve, la coalition à Suez a surtout concrétisé l’alliance franco-israélienne. L’axe formé par ces deux pays n’était plus seulement un entendement de chancelleries mais bien la consolidation d’un axe aux intérêts stratégiques communs. Cependant, des auteurs ont souligné que, pour Ben Gourion, la France était un « second choix » après les États-Unis et que l’alliance franco-israélienne, dont la vocation était de combattre un ennemi commun, était une « alliance de combat ».
Bilan des relations
Après l’expédition en Égypte, le Proche-Orient retrouva une certaine accalmie. La rétrocession du Sinaï le 7 mars 1957 par Israël à l’Egypte et la présence des casques bleus, contribuèrent à cet apaisement. Grâce à cette relative quiétude, Israël put développer son économie et renforcer le mouvement d’intégration des nouveaux immigrants. Malgré l’échec à Suez, sur le plan politique, David Ben Gourion et les travaillistes occupaient toujours le devant de la scène.
En France, le retrait d’Égypte avait eu raison à la fois du gouvernement Guy Mollet, et de sa politique au Proche-Orient. Cela favorisa d’une certaine manière l’avancée de l’intégration européenne. Cependant, la guerre d’Algérie maintenait la « question d’Orient » à l’agenda du gouvernement. Un problème d’autant plus épineux que l’armée française ne parvenait pas mettre un terme aux activités de l’ALN.
A la fin des années 1950, l’alliance franco-israélienne comprenait toujours une coopération militaire renforcée ainsi qu’un soutien diplomatique mutuel. Bien que Guy Mollet ne soit plus Premier ministre, les dirigeants de la IVe République qui ont exercé les mandats ministériels lors des gouvernements suivants, œuvrèrent pour le maintien de ce partenariat privilégié. Le fait qu’une partie des architectes de cette alliance se soient maintenus au pouvoir, ainsi que dans les différents niveaux de l’état-major, contribua à ce statu quo.
Le général de Gaulle et la politique Proche Orientale
Suite à l’expédition de Suez, la France avait été écartée des affaires du Proche-Orient. Avec l’appui de l’Union soviétique, le régime nassérien en Egypte avait fait un pas de plus vers le panarabisme, en s’associant avec la Syrie en 1958. Au mois juillet 1958, la monarchie irakienne a été renversée par des officiers récusant le Pacte de Bagdad. Les troupes américaines et Britanniques étaient alors envoyées successivement à Beyrouth et en Jordanie. Le jeu d’alliances était partagé entre des amitiés soviétiques et la doctrine Eisenhower et laissait peu de place à l’action française et ce d’autant plus que les interventions militaires de ses alliés avaient eu lieu sans grandes concertations et que ces derniers montraient peu de soutien dans le problème algérien.
Même la crise du canal de Suez et la guerre d’Algérie aient détérioré les relations entre la France et le monde arabe, le retour au pouvoir, en 1958, du général de Gaulle tente de rétablir le dialogue avec les autres pays méditerranéens. Il s’agissait alors d’un jeu d’équilibriste tant ce retour de la France sur la scène arabe questionnait directement le développement des relations avec l’État d’Israël.
Même si l’Algérie obtenait son statut d’État souverain en 1962, la France ne voulait pas se désintéresser de la Méditerranée. Même si le processus de décolonisation avait affaibli peu à peu l’influence française sur son ancien empire colonial, la France entendait bien mener une politique de coopération privilégiée avec les nouveaux États arabes. Le général de Gaulle avait son idée de la politique que devait mener la France à l’égard du tiers monde. Comme la France ne pouvait plus exercer son influence grâce à la tutelle coloniale, elle allait alors mettre en place une politique de coopération multiple. La nouvelle ligne stratégique du général de Gaulle était fondée sur une triple constatation : les états arabes qui n’étaient pas encore inféodés aux Soviétiques ou aux Américains pouvaient donc être sensibles à l’influence française, la France devenait de plus en plus dépendante de son approvisionnement en hydrocarbures et les nouveaux marchés arabes ouvraient des perspectives intéressantes à l’économie française.
La France devait alors tirer profit de l’expérience, des contacts et des connaissances qu’elle tenait de ses anciennes colonies, pour jouer un rôle d’intermédiaire privilégié entre les pays Arabes fraichement indépendants et l’Occident. Le général de Gaulle avait l’ambition de voir son pays jouer le rôle d’avocat des pays décolonisés et de leurs intérêts, dans un monde tiraillé entre les deux supergrands, les États-Unis et l’URSS. La France encourageait les demandes du Tiers-Monde et trouvait ainsi un moyen de réorganiser l’ordre binaire en s’y insérant de manière indirecte. Cette coopération devait permettre l’établissement de rapports confiants avec le monde arabe. Cette stratégie devait permettre à la France de retrouve, en dehors de la logique des blocs, une véritable indépendance militaire et diplomatique. De Gaulle, lui-même, déclara dans ses Mémoires, « [u]n pays comme la France ne peut renoncer à un rôle d’aide internationale. Elle n’en a pas le droit ou alors elle ne serait pas la France et elle l’est ».
Dans ce contexte du renouveau des relations franco-arabes, le général de Gaulle a conceptualisé une réorientation progressive de la politique française vis-à-vis de son allié israélien. Il avait une grande sympathie pour les dirigeants politiques en Israël, dans ses Mémoires, il parle en ces termes du premier ministre de l’État hébreu, « [v]oici et revoici David Ben Gourion ! D’emblée, j’ai pour ce lutteur et ce champion courageux beaucoup de sympathique considération. Sa personne symbolise Israël, qu’il gouverne après avoir dirigé sa fondation et son combat ». Toutefois, de Gaulle était également en faveur d’une approche plus globale des affaires au Proche-Orient, privilégiant un dialogue multiple à une alliance unique, autem une diplomatie à géométrie variable.
La France et Israël : rupture dans la continuité
L’orientation diplomatique de la France s’inscrivait alors dans une double dimension évidente. Il s’agissait, d’une part, de perpétuer l’excellence des relations. Pour le chef de l’État français, Israël était un allié au Proche-Orient avec qui il fallait maintenir des liens militaires très étroits à la fois pour assurer sa propre sécurité, maintenir un équilibre des forces dans la région mais aussi les liens entre les complexes militaro-industriels des deux pays. D’autre part, il était désormais privilégié une coopération qui s’étende à d’autres domaines, économiques et culturels notamment. Il y avait donc ainsi une volonté de d’établir des relations privilégiées au sens large du terme.
Dès 1958, des entreprises françaises avaient opéré une percée sur l’économie israélienne en remportant notamment les marchés de construction de l’autoroute reliant Beer-Sheva à Eilat et de l’aménagement des infrastructures portuaires d’Haïfa. En 1962, un protocole commercial a été signé entre la France et Israël pour la création d’une zone de libre-échange concernant certains produits finis. En 1964, la France a également appuyé la signature auprès de ses partenaires communautaires européens d’un accord commercial avec Israël. Une première étape qui permit ensuite en 1963 à l’État hébreu d’obtenir un régime de tarifs préférentiels, avant la signature avec les instances européennes d’un accord de commerce global en 1964.
La coopération franco-israélienne s’était aussi développée dans le domaine de l’énergie atomique. En 1955, le ministre de la Défense Pierre Kœnig et le ministre des Affaires atomiques Palewski ont signé conjointement l’accord avec l’État d’Israël, maintenu dans le plus grand secret alors qu’en 1958, la France avait officiellement déclaré avoir cessé toute collusion avec les scientifiques à Dimona.
Toujours dans la ligne de coopération technique et dans le prolongement du programme atomique israélien, le gouvernement français a activement participé au programme balistique israélien. Au début des années 1960, le lanceur Shavit (en français : « comète ») était propulsé grâce à la technologie française, celle-ci fut aussi utilisée bien plus tard dans les projets de missiles Jéricho. Le général de Gaulle et l’état-major des armées n’étaient pas opposés au départ à une coopération qui pouvait, à terme, être bénéfique en termes d’apports technologiques à l’arsenal stratégique français.
Le secteur de l’armement demeura la part la plus importante des échanges, et ce malgré des tentatives de diversification. La France était non seulement le plus gros fournisseur d’armes d’Israël mais ces échanges portaient également sur du matériel de très haute technologie à l’époque, à l’instar du chasseur-bombardier Dassault Mirage III, massivement utilisé lors de la guerre des Six Jours.
La France et les capitales Arabes, le renouveau
La politique de rapprochement et de coopération diverses définie par le général de Gaulle fut mise en œuvre dès l’indépendance de l’Algérie. Au Maghreb, le gouvernement ne s’était pas opposé au partenariat militaire signé en 1963 entre Alger et Moscou. Au contraire, l’assistance apportée par la France à son ancienne colonie demeurait la part d’aide la plus importante accordée aux pays du tiers-monde. Plus d’un millier d’officiers algériens furent même reçus dans les écoles militaires françaises entre 1963 et 1978.
Plus importants dans cette relation furent les contrats d’approvisionnements en hydrocarbures de la France. La France avait obtenu lors des Accords d’Évian, puis par un accord bilatéral en 1965, une garantie de livraison énergétique pour assurer les besoins énergétiques du pays. Le général de Gaulle était conscient de la méfiance de certains officiels algériens et français, cette coopération permit un début de normalisation des relations avec le nouvel État.
Pour ce qui est de la Tunisie et du Maroc, ces pays entretenaient relativement de bonnes relations avec la France. Dès 1957, la France avait obtenu de ses partenaires communautaires européens le maintien d’un régime d’échanges économiques préférentiels avec ces deux États. En 1963, elle encouragea encore davantage l’ouverture de négociations en vue de conclure des accords d’association avec la communauté. En dépit de quelques incidents, les contacts entre les pays étaient assurés.
Au Proche-Orient, le retour de la France fut des plus prudents à cause des ressentiments laissés par la crise du canal de Suez. Conseillé par des spécialistes du monde Arabo-Musulman, comme le ministre Maurice Couve de Murville, le général de Gaulle multiplia les envois d’émissaires et les entrevues auprès des capitales arabes. le président français entendait restaurer le dialogue franco-égyptien, et ce malgré l’arrestation de diplomates français, en 1961, n’avait pas été favorable au rapprochement entre les deux pays.
Les relations se réchauffèrent en 1965, quand le vice-président égyptien Amer vint en visite en France, puis qu’André Malraux, ministre français des Affaires culturelles, se rendit au Caire. Cette nouvelle politique arabe de la France porta progressivement ses fruits. En 1966, la plupart des pays arabes avaient rétabli leurs relations diplomatiques avec la France.
La politique comme la prospérité économique et le développement industriel de la France profitèrent de ces nouveaux marchés dans le tiers monde. Les échanges économiques entre la France, le Maghreb et le Moyen Orient augmentèrent au cours de la décennie. De nombreux groupes français ont remporté des offres de marchés, par exemple Thomson et Batignolles, Arabie saoudite (télécommunications), en Syrie (aéroport de Damas). La Sogréah a également obtenu un contrat de construction de canaux d’irrigation pour l’Euphrate. Le gouvernement français a également passé des contrats d’approvisionnement avec la Libye et l’Iraq Petroleum Company.
La France avait désormais accès aux échanges avec les marchés arabes. Plusieurs milliers de techniciens et d’enseignants furent également envoyés dans le monde arabe. Ainsi, à la veille du conflit israélo-arabe de 1967, la France avait renoué et consolidé ses positions au Proche Orient. Elle venait d’y retrouver une certaine influence.
L’équilibrisme à l’épreuve de la guerre
D’une manière globale, la France a menée en Méditerranée une diplomatie à géométrie variable. Le Proche Orient était alors soumis à une structure bipolaire, et la France était guidée par un souci d’apparaître comme une puissance neutre. La France ne voulait plus assumer de responsabilités importantes mais y trouver son compte. Toute l’ambiguïté de la politique gaulliste reposait sur un équilibre entre des intérêts arabes et israéliens.
Pour se faire, il fallait maintenir un statut quo territorial et éviter un nouveau conflit armé entre Israël et ses voisins. En cas de guerre, la France aurait été obligée de se désolidariser de l’État ou du groupe de nations qui prendrait l’initiative des hostilités.
Cet équilibre fut rompu en juin 1967, quand la chasse israélienne attaqua par surprise les aérodromes égyptiens. Le général de Gaulle, qui avait vu venir les hostilités, décréta dès le 2 juin un embargo préventif sur les ventes d’armes à destination du Proche-Orient. Les tensions entre le président Nasser et le gouvernement israélien allaient crescendo : retrait des casques bleus du Sinaï et leur remplacement par des unités égyptiennes, blocus du détroit de Tiran aux navires israéliens, etc, et la France tentait temps bien que mal de temporiser une situation dont elle savait son allié, l’Etat d’Israël, était prêt à intervenir militairement.
Entre les intérêts français et les menaces sur ses frontières, Israël choisit l’attaque préventive. La guerre des Six Jours marqua alors le début de la rupture entre la France et l’Etat d’Israël et la fin de leur alliance.
L’embargo sur la livraison d’armes au Moyen-Orient devait servir de signal pour dissuader ses alliés israéliens de passer à l’attaque. Sans succès. De Gaulle, dans un communiqué du conseil des ministres du 15 juin 1967, condamnait ainsi l’« agression israélienne » et réaffirmait le refus de la France de ne tenir pour acquis aucun fait accompli. Le Président français avait aussi ordonné à son gouvernement de dénoncer l’attitude de l’État hébreu devant l’Assemblée nationale ainsi qu’à l’ONU. La rupture fut nette, mais l’embargo sur les armes ne fut que partiellement respecté. Israël continuait de recevoir officieusement Des pièces détachées et du matériel.
Une conférence de presse, le 27 novembre 1967 à l’Elysée, envenima la querelle entre les deux Etats. Dans un discours sur la situation au Proche-Orient, de Gaulle déclara que beaucoup se demandaient si « les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles ». Il va sans dire que cette déclaration fit firent l’effet d’une bombe au sein de la société israélienne, des Juifs de France, et de nombreux politiciens français sympathisants de l’État hébreu. De Gaulle fut alors qualifié d’antisémite, pour d’autres, il s’agissait d’une maladresse. David Ben Gourion lui écrivit en déplorant « les critiques injustes formulées par de nombreuses personnes en France, en Israël et dans d’autres pays qui, je pense, n’ont pas examiné vos propos avec tout le sérieux requis ».
La rupture entre les deux États fut consommée en décembre 1968, quand Israël attaqua le Liban. Tsahal lança une opération de rétorsion sur l’aérodrome de Beyrouth en riposte à un attentat anti-israélien sur l’aéroport d’Athènes. De Gaulle était opposé aux représailles et proclama l’effectivité totale du boycott des armes à destination d’Israël. La France refusait de soutenir un allié qui refusait ses mises en garde et dont le statut de belligérant avec ses voisins mettait en danger l’équilibre régional qu’elle avait envisagé jusqu’à la veille du conflit.
Ce changement de politique suscita alors des oppositions en France. Le milieu de l’armement français perdait l’un de ses plus gros clients (le groupe Dassault, qui avait notamment équipé l’armée de l’air israélienne avec des Dassault Mirage III).
Une fois les hostilités terminées, la rupture entre les deux États allait progressivement connaître un tournant déterminant pour leurs relations futures. La politique gaulliste à l’égard de l’État hébreu a ouvert la voie à un renforcement de la présence française dans le monde Arabo-Musulman. Israël se tourne alors vers un État qui est toujours son principal allié politique et militaire, les États-Unis.
La gestion de l’héritage gaulliste
Un an après les manifestions de mai 1968, le président De Gaulle démissionne après l’échec de son référendum sur le projet de régionalisation et de réforme du Sénat.
Avec le départ du chef de l’État, une page de la politique extérieure française s’est tournée. Les hommes se renouvellent mais les idées restent les mêmes : refus de la politique des blocs (bipolarité stricte du globe entre les États-Unis et l’URSS), priorité à la construction européenne et aux relations privilégiées avec le tiers-monde (les anciennes colonies et les pays francophones). Il s’agissait de renforcer les partenariats de manière à mettre en avant le rôle et les intérêts de la France dans un monde ou s’affrontaient le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest. Michel Debré, le ministre de la Défense de l’époque, souligne cette orientation : « L’évolution des souverainetés en Afrique du Nord, le conflit durable du Moyen-Orient, la poussée soviétique vers l’Afrique et l’Islam, les divers intérêts américains : autant d’éléments qui depuis 20 ans ont modifié les données de notre sécurité et nous imposent des attitudes neuves et actives pour la défense de nos intérêts ».
Stratégie commerciale et économique
L’action du Président Georges Pompidou a été déterminante Au niveau des échanges commerciaux avec le pourtour méditerranéen dès le début de la décennie. Après avoir rompu son alliance avec Israël, la France ne voulait pas se contenter d’un strapontin face aux marchés arabes qui lui étaient désormais ouverts, d’autant plus que la concurrence étrangère était féroce.
Grâce à ses grands groupes puissants, l’industrie française de l’armement obtint de nombreux contrats importants. De 1,7 milliard de francs à l’époque de la collaboration avec Israël, les exportations françaises s’élèvent à 2,7 milliards en 1967, 4 milliards en 1968. En 1970, la France accéda au rang de troisième exportateur mondial d’armes. Le renouveau du monde Arabo-Musulman représentait une aubaine. Au début de l’année 1970, la Lybie acheta à la France 110 chasseurs-bombardiers Mirage et de 200 chars de combat. Une consécration pour les performances de l’industrie militaire française.
En Israël, l’équipement français avait permis de remporter la Guerre des Six Jours en 1967 et qui voyait désormais ses ennemis dotés d’armes identiques et de haute qualité technologique. Peu avant la guerre du Kippour, le commerce d’armes françaises vers les pays arabes comptait pour 30 % des exportations. Ce taux augmenta durant la décennie.
Dans ce contexte, si la diplomatie commerciale appuyée le gouvernement français constituait un appui majeur aux industries de l’armement, les livraisons étaient soumises à de nombreuses conditions, notamment le droit de veto français sur le stationnement des avions sur certains aérodromes et la vente d’engins à des pays tiers (dans un soucis de maintenir l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient). Cependant, les réorientations de la politique française à l’égard d’Israël n’ont pas été totalement à ses dépens. Dans le prolongement de l’affaire des vedettes de Cherbourg, le gouvernement français négocia notamment un accord secret en 1972, sur la livraison de pièces détachées pour les avions Mirage.
Les pays Arabes finirent par vouloir diversifier leurs fournisseurs, en cas où d’éventuelles tensions avec leurs alliés, comme lors de l’expulsion des conseillers soviétiques d’Égypte, en 1972, qui avait entraîné une réduction des livraisons d’armes en provenance de Moscou. C’est notamment pour éviter de voir l’influence américaine supplanter totalement celle exercée par l’URSS que la France a opté pour un renforcement de sa coopération militaire avec l’Egypte et le monde Arabo-Musulman en général.
La France s’est particulièrement investie dans le cadre des relations euro-méditerranéennes conventionnelles. En 1969, des accords d’association sont passés entre la CEE, la Tunisie et le Maroc. La France s’est attelée ensuite à faire adopter en 1972 la « politique méditerranéenne globale ». C’est un programme ambitieux visant à ouvrir des accords de coopération (volets commercial, financier et social) à tous les pays du bassin méditerranéen. L’objectif était principalement commercial car ce projet visait notamment à établir la libre circulation des marchandises pour tous les produits industriels. Parallèlement à la poursuite du commerce avec ses anciennes colonies du Maghreb, le président Pompidou a donné une impulsion au développement des liens avec les pays du Golfe. Par exemple, en 1973, la Belgique à elle seule importait plus de produits français que l’ensemble des pays du Proche-Orient. Pour remédier cette situation, le gouvernement français développa les échanges avec les pays du golfe. C’était d’autant plus profitable à la France qu’il lui fallait une alternative aux champs de pétroles algériens. Les missions commerciales favorisèrent donc une timide avancée de la France sur la scène énergétique notamment par des contrats entre la Compagnie française de pétrole et l’IPC irakienne, en 1972.
En ce qui concerne les échanges commerciaux, si Israël pouvait se targuer, en 1968, de procéder à un volume d’échanges supérieur à tout État arabe avec la France, la situation s’était largement inversée lors du mandat de Pompidou. Cette situation n’était pas le résultat délibéré d’une politique mais la conséquence de l’ouverture de l’ensemble des marchés arabes aux investisseurs français qui en avaient longtemps été exclu, notamment à cause de la crise du canal de Suez, de la guerre d’Algérie et du soutien apporté à Israël. La crise pétrolière de 1973 a accentué cette situation, les capacités de paiements des États pétroliers (pétrodollars) ont augmenté, alors qu’Israël reculait encore un peu plus dans son commerce avec la France.
Stratégie diplomatique
Dès le début de son mandat, le président Pompidou a suivi la ligne politique du général de Gaulle en ce qui concerne le règlement du conflit israélo-arabe parrainé par les grandes puissances. Cette option n’était pas approuvée par Israël et était contredite par les initiatives de américaines, prises sans concertation avec la France. Dès lors, la France privilégia des prises de positions et des actions dans le cadre européen.
En 1971, les ministres des Affaires étrangères des Six, dont le représentant français Michel Jobert, avaient approuvé le « document Schuman », qui affirmait que le contenu de la résolution 242 de 1967 à l’ONU devait constituer la base de tout règlement de paix. Le président Pompidou était également opposé à un accord qui n’inclurait pas une solution pour les réfugiés palestiniens, d’où sa volonté de considérer cette résolution de l’ONU comme la ligne directrice de l’action française et européenne.
Par le biais de ses initiatives individuelles ou européenne, la diplomatie au Moyen-Orient du président Pompidou a joué la carte d’une certaine neutralité. Comme lors du mandat de De Gaulle, certains observateurs israéliens ont eu l’impression que la France avait choisi un camp, celui du monde Arabo-Musulman. Les relations entre la Fr d’où un prolongement de la dégradation des relations franco-israéliennes. Un raidissement des relations exprimé notamment en 1973 par Menahem Begin (Likoud) : « le fait que le gouvernement (…) est prêt à vendre délibérément le sang juif pour le pétrole arabe (…), est la plus grande trahison depuis que le gouvernement Daladier avait trahi le pacte franco-tchécoslovaque. Mais Israël n’est pas la Tchécoslovaquie et il n’y aura pas de Munich au Proche-Orient ».
La guerre de Kippour et ses conséquences
L’attitude diplomatique de la Franc face au conflit relevait à nouveau d’un jeu d’équilibrisme. Grâce à une politique d’ouverture avec le monde arabe, elle a moins souffert du choc pétrolier que ses partenaires américains et néerlandais. La décision de ce choc pétrolier a été prise le 17 octobre 1973, lors d’une réunion de l’OPAEP. La France supportait également l’idée que les frontières de l’Etat d’Israël devaient être sécurisées et soumises à un accord de paix.
L’action de la France s’est illustré dans le cadre de l’Europe des neuf.
Suite au « document Schuman » datant de 1971, la Communauté Européenne appelle, le 13 octobre, les belligérants à un cessez-le-feu et à des pourparlers de paix. Le 6 novembre, elle condamne à nouveau les territoires dits « occupés » et requiert des droits pour les Palestiniens. La France, dans le cadre des institutions européennes, milite depuis 1971 pour l’approfondissement du dialogue euro-arabe, notamment avec l’évocation du sort des réfugiés.
Le sommet de la CEE à Copenhague en décembre 1973 complète les actes précédents et confirme que les questions des territoires dits « occupés » et de la sécurité d’Israël ne pourront être solutionnés sans un accord de paix. Ces orientations politiques sont conformes à celles de Pompidou, et se sont les analyses de l’Elysées qui prévalent au sein de la CEE. La France s’estimait capable de trouver une solutions aux problèmes du Proche-Orient.
Cettt ligne diplomatique a été vivement dénoncées au sein de la classe politique israélienne, y compris au sein du gouvernement de Golda Meir. En France, le grand rabbin Jacob Kaplan a dénoncé le parti pris de la France en faveur des pays arabes, et a remercié les États-Unis de leur solidarité, « Nacht und Nebel, nuit et brouillard, de sinistre mémoire, voilà ce qu’a connu, ce que connaît Israël. S’il n’y avait eu les États-Unis qui, sans s’être engagés publiquement en disant un jour : « Israël, notre ami et notre allié », se sont comportés envers lui selon le droit, l’équité et l’amitié, qui lui ont apporté leur soutien et livré l’armement indispensable à sa défense (…). J’en viens à me demander si cette solitude et ce silence ne s’expliquent pas par le retour de la nuit dans les esprits et dans les cœurs en plein vingtième siècle ». Par la suite, Yitzhak Shamir a également déclaré : « Il existe un lien entre la position européenne et le terrorisme antisémite ».
Dans ces conditions, les relations franco-israéliennes se ternirent. La France tenait à conserver ses partenariat avec les pays arabes et développait des relations de plus en plus étroites avec le monde arabo-musulman. Israël, de son côté, renforçait ses partenariat stratégique avec les États-Unis.
Si l’Europe se contenta des aspects économiques (approvisionnements pétroliers, ouverture des marchés, etc.), les Etats-Unis, eux, arbitrent les négociations de Paix dans la région. Le 18 janvier 1974 et le 4 septembre 1975, des accords de désengagement partiel des forces armées furent ainsi réalisés dans le Sinaï sous la houlette des Etats-Unis. L’ONU enverra alors des troupes de casques bleus pour sécuriser la région. Le 31 mai 1974, les même accords prendront effets, concernant cette fois les hauteurs du Golan.
Pour conclure, le mandat de Pompidou a été directement influencé par les principes du Général de Gaulle, il entendait restaurer les intérêts économiques de la France en Méditerranée ainsi que trouver une solutions aux problèmes politiques et sécuritaires au Proche-Orient. L’héritage gaulliste est encore bien présent, autant à travers le renforcement de la politique commerciale arabe que la position semi-équilibrée lors du conflit d’octobre 1973. Bien qu’ancré dans l’héritage gaulliste, George Pompidou avait conscience des limites de la diplomatie française. Il inscrivit donc la diplomatie française dans le cadre européen, ce qui donnait plus de poids à certaines thèses de l’Elysée. Cela confère également une plus grande marge de manœuvre vis-à-vis de la politique internationale.
Le Giscardisme et Israël
Valéry Giscard d’Estaing est élu en mai 1974. C’est le premier président non gaulliste de la Ve République, mais il poursuit néanmoins la diplomatie de ses prédécesseurs. De nombreux facteurs pèsent sur la politique de la France en Méditerranée : la dépendance énergétique de la France vis-à-vis du monde arabe, la place centrale des exportations d’armes dans la balance commerciale française et la croisade américaine visant à instaurer une paix durable entre Israël et ses voisins.
La facture énergétique et la cause palestinienne
Le premier choc pétrolier fait prendre conscience au gouvernement la fragilité de la France vis-à-vis de l’approvisionnement énergétique provenant du Proche-Orient. Pour garantir les exportations d’hydrocarbures en quantité et au meilleur prix, la France multiplie les contacts entre entreprises françaises et secteur pétrolier arabe. Une série d’accords d’exploitation de gisements furent obtenus par la Compagnie française des pétroles et l’IPC entre 1974 et 1977 à Bagdad. Cette compagnie conserve également ses positions à Abu Dabi et en acquiert de nouvelles.
En plus de ses appuies politiques et économiques, comme la Syrie ou l’Irak, la France se tourne désormais vers des pays diplomatiquement négligé jusqu’alors, les monarchies pétrolières du Golfe, disposant de richesses pétrolières conséquentes et que la situation géopolitique rend particulièrement prometteuses. La nécessité de ces approvisionnements pétroliers entrainaient un risque de déficit important dans la balance commerciale française : le poids de la fracture énergétique.
Il fallait donc compenser les dépenses pétrolières. Valéry Giscard d’Estaing invita donc les gouvernements de Jacques Chirac et de Raymond Barre à accentuer les ventes d’armes dans les pays arabes. Le Président ne voulait pas que ses coopération militaires engagent la partialité de la France au Proche-Orient, il déclara en 1976 que « la sécurité des pays de la région est de leur seule responsabilité (…). Dans la mesure où ils le souhaiteraient, la France serait disposée, comme elle l’a déjà fait, à leur fournir les matériels dont ils estimeraient nécessaire de se doter. Cette coopération est exclusive de toute ingérence dans un domaine qui relève de leur souveraineté ».
En suivant cette logique, les exportations d’armes se firent vers des pays avec lesquels la France envisageait de renforcer ses importations en hydrocarbures, comme l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Dans ses accords « armes contre pétrole », deux points sont à souligner, premièrement les ventes d’armes françaises ne se sont pas limitées à ces deux pays, mais ils ont été les principaux acheteurs au sein de cette politique globale de la France. Deuxièmement, ses ventes d’armes se firent aux dépens de l’Etat d’Israël, mais jamais ouvertement contre lui. Les différents gouvernements de Valéry Giscard d’Estaing répondaient à des impératifs économiques et non à une volonté manifeste de nuire à Israël et de déséquilibrer les forces au Proche-Orient.
Si l’on excepte le commerce des armes, la France se trouvait dans son situation économique analogue à celle de ses partenaires européens. Les importations de la CEE en provenance des pays arabes ont connu une hausse considérables entre 1969 et 1977. Les exportation communautaires vers ces même pays avaient, eux aussi, connu une forte hausse entre 1973 et 1978 en se concentrant sur les pays pétroliers.
Un accord concernant la construction d’un réacteur nucléaire à Tamuz a été signé entre la France et l’Irak le 18 novembre 1975. La France a donc substitué ses « amitiés atomiques » avec Israël (construction de la centrale nucléaire de Dimona) par sa coopération avec les pays arabes. Le ligne du président est énoncée en 1978 par un communiqué du ministère des Affaires étrangères : « [l]a vente d’un réacteur de recherche à l’Irak s’inscrit dans notre politique de coopération avec les pays désireux de bénéficier des applications pacifiques de l’énergie nucléaire ». Même si certains pays, Israël en tête, condamne cet accord, le gouvernement français continue de diversifier sa coopération avec les pays arabes, sans pour autant aider l’Irak à se doter de l’arme nucléaire.
Les relations franco-israéliennes continuèrent de se délier après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing et la poursuite de la politique pro arabe amorcée par ses prédécesseurs. La victoire du Likoud aux élections législatives de 1977 ne contribue pas au renouveau des relations entre la France et Israël. La France cherchait à négocier une solution au Proche Orient, le gouvernement de Menahem Begin avait étendu les frontières de l’Etat d’Israël, incluant le Sinaï et le Golan. Cette décision entraine une forte oppositions de la France et de ses partenaires européens.
En plus des options israéliennes, le développement des politiques commerciales et militaires en faveur des pays arabes exclut Israël. Les relations entre la France et Israël sont donc marquées par la méfiance mutuelle. Bien que le président français ne nie pas l’existence d’Israël, il déclare en 1977 que « le problème des droits naturels et légitimes d’Israël est un problème que j’ai toujours évoqué dans mes conversations avec les dirigeants des grands États arabes de la région ». Les tensions entre les deux états deviennent persistantes.
Au sein de la classe politique française et de son action à l’international, un courant favorable à l’OLP se fait de plus en plus présent.
Prétendant la nécessité de créer un pays pour les Palestiniens, le Président français prend une série de mesures dans ce sens, et cela malgré la tentative de négociation d’une paix durable. La France vote donc la reconnaissance de l’OLP en tant que membre observateur de l’ONU le 22 novembre 1974. Ce vote inclus les « droits inaliénables du peuple palestinien en Palestine », y compris le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationale. Le Président français donna également son accord pour l’ouverture d’un bureau de liaison du mouvement palestinien à Paris. Valéry Giscard d’Estaing voulait inciter l’OLP à se constituer en tant qu’interlocuteur valable pour la négociation d’un processus de paix. Pour le chef de l’Etat, une négociation ne pouvait se faire sans désignation d’un organe crédible et représentatif des Palestiniens, parmi la nébuleuse de mouvements de libération.
Ce positionnement en faveur de la cause palestinienne ainsi que la collaboration étroite avec les pays arabes dans le domaine militaire ne firent que renforcer la méfiance d’Israël à l’égard de la France. Frédéric Encel considère le mandat Giscard d’Estaing comme l’ère de la « glaciation »1 : « ouverture d’une représentation officielle de l’OLP (en 1975) à Paris ; contrat de vente de la centrale nucléaire française à l’Irak de Saddam Hussein (1975) ; refus d’extrader le terroriste Abou Daoud (organisateur du massacre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich) ; circulaire Barre sur le boycott des entreprises israéliennes ; fortes réserves françaises vis-à-vis de la paix israélo-égyptienne de Camp David (1978-1979) ; indifférence manifeste face à des attentats antisémites (1980) ; refus de se rendre en Israël, etc. »