Habituellement c’est l’huile ou la semoule qui est en tension durant le Ramadan en Algérie. Cette année, ce sont les oignons qui se vendent au prix d’or.
Cette denrée, indispensable à la préparation de la chorba en cette période de ramadan, est devenue un produit de luxe.
Sur les marchés, le kilo d’oignon se paie à 180 DA, parfois à 200 dinars chez certains vendeurs de fruits et légumes à Alger.
Pourtant, que ce soit à Tiaret, Saïda ou à El Oued, les agriculteurs se plaignent habituellement de surproduction. Énième opération de spéculateurs aux chambres froides remplies des précieux bulbes ou simple loi de l’offre et de la demande ?
Dans un marché de gros de la capitale, un commerçant témoigne : « L’année passée, de l’oignon, il y en avait à la pelle, mais il n’y avait pas d’acheteurs. » Un autre affirme : « On en jetait ». En mars 2023, le repiquage des jeunes plants d’oignon démarre à peine, la récolte ne sera prête que l’été prochain.
Aussi, c’est la ruée vers un autre type de bulbe : l’oignon vert. Dans les champs, la récolte bat son plein. Les oignons sont récoltés avec leurs feuilles puis attachés en bottes et immédiatement dirigés vers les marchés de gros.
Rechaïga, capitale de l’oignon en Algérie
S’il y a une région où l’oignon est roi en Algérie, c’est bien la commune de Rechaïga (Tiaret). Dès les années 1980, des maraîchers de Mascara ont investi dans cette commune aux terres vierges et à l’eau abondante pour y planter de l’oignon. La culture est exigeante et n’aime pas être installée plusieurs années de suite sur les mêmes parcelles et a besoin d’eau.
La culture moderne de l’oignon n’a plus rien à voir avec celle d’antan. Aujourd’hui, la culture se pratique sur plusieurs hectares et des agriculteurs se spécialisent dans cette seule culture. Aussi, les économistes les qualifient d’entrepreneurs. A Rechaïga, ces entrepreneurs itinérants ont trouvé leur terre d’élection.
Cette commune n’est pas devenue immédiatement la capitale de l’oignon en Algérie, cela s’est fait progressivement. D’abord quelques pionniers ont loué des terres et planté de l’oignon.
Mais ils ont gardé des attaches avec Mascara pour y produire les jeunes plants et sont restés en contact avec leur réseau d’approvisionnement en intrants agricoles.
Leur réussite a commencé à se savoir et a finalement drainé de nouveaux entrepreneurs. Au contact des nouveaux venus, les agriculteurs locaux ont également appris à maîtriser la culture.
Le soutien des pouvoirs publics et la rentabilité de la culture a permis aux maraîchers de s’équiper en motopompes et en kit d’aspersion.
A son apogée, Rechaïga approvisionnait de nombreuses wilayas d’Algérie en oignon. Cependant, l’extension des cultures irriguées a progressivement asséché les nappes phréatiques locales.
Co-auteur d’une étude sur la région, Alaeddine Derderi de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie (ENSA) d’El Harrach analyse la situation : « Face à la baisse des débits et/ou à l’assèchement des forages, les agriculteurs approfondissent leurs forages ou en réalisent de nouveaux, là où cela est encore possible. »
Il décrit une véritable course à l’eau : « Le nombre de forages par exploitant interrogé est actuellement de 2,3, mais plus de la moitié ne sont pas fonctionnels : asséchés ou infructueux à la réalisation. »
Le problème réside dans des prélèvements en eau supérieurs à la recharge naturelle des nappes. Depuis, les entrepreneurs itinérants sont repartis vers Aflou, Saïda ou El Oued à la recherche de terres vierges et riches en eau.
Produire et stocker l’oignon
Aujourd’hui, la culture moderne de l’oignon est présente dans la plupart des régions d’Algérie.
En 2021, dans les sables d’El Oued on dénombrait 1.400 hectares d’oignons. La réussite est telle que les producteurs connaissent des difficultés pour écouler les 700.000 quintaux qui y sont produits.
Les prix se sont effondrés et n’ont pu couvrir les dépenses engagées par les agriculteurs. Au milieu de son champ Djebbar El Ourdi confie à Ennahar TV : « On produit 500 quintaux à l’hectare. Mais une partie de la récolte ne trouve pas preneur et on enregistre de lourdes pertes. Il y en a qui jurent ne plus jamais replanter d’oignons. »
Excédés, les agriculteurs s’étaient alors réunis et avaient réclamé l’activation du système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac). Ils avaient même mandaté le président de la Chambre de l’Agriculture, Bekkar Ghemmam Hammed afin qu’il saisisse le ministère de tutelle.
En 2022, bis repetita. Une nouvelle surproduction à El Oued. Les prix tombent à 5 DA/kg. Un producteur témoigne : « Un ouvrier nous revient 1 500 DA la journée. La semaine passée j’en avais 6. Aujourd’hui j’ai réduit l’équipe de moitié. Je pense que je vais prendre un engin et aller jeter une partie de ma production derrière les dunes. On demande que les autorités ouvrent des chambres froides ou ouvrent des postes frontières pour l’exportation vers la Libye et la Tunisie. »
Stockage de l’oignon en chambres froides
Bénéficiant de subventions, des agriculteurs ont investi dans des chambres froides. A Saïda, Djilali s’est spécialisé dans la conservation de l’oignon rouge.
Dans ses locaux, les bulbes sont entreposés dans des palox en bois empilées jusqu’au plafond. L’installation est moderne et les palox sont déplacés à l’aide d’un chariot élévateur. Entouré de 2 jeunes ouvriers, il confie à El Bilad TV : « Cette activité donne du travail à des jeunes et des revenus à 60 familles. »
A Rechaïga, des entrepreneurs itinérants disposant jusqu’à 6 chambres froides ont développé un contrat qu’ils proposent aux autres producteurs lors des années de surproduction et de forte baisse des prix de l’oignon.
Les travaux menés par les économistes de l’ENSA ont permis de préciser les modalités : « Ils proposent à des producteurs, avec qui ils ont l’habitude de travailler, d’assurer le stockage de leur récolte et sa mise en marché, après redressement des prix. Le partage de la plus-value nette, après déduction des charges, se fait à parts égales entre les deux parties. » Parfois, une partie des chambres froides sont directement louées à des agriculteurs.
Des oignons stockés en plein air
Face au manque de structures de stockage, laisser la récolte en plein air reste souvent le seul recours. Les oignons sont mis en andain sur plusieurs dizaines mètres de long puis recouverts d’une bâche de plastique noir.
Ce stockage dure entre 2 à 6 mois mais peut s’accompagner de pertes, allant jusqu’à 50% de la récolte. L’absence de ventilation et l’humidité liée à la condensation sous la bâche peuvent favoriser le développement de moisissures.
Et dès le printemps, les températures plus clémentes favorisent le développement du bourgeon végétatif et l’émission de racines ce qui réduit la valeur des bulbes.
Certains producteurs arrivent à mieux conserver leurs oignons en plein air. Mais, ils n’utilisent pas de plastique de couleur noire, car il emmagasine plus la chaleur du soleil.
Ils recouvrent les andains d’une couche de paille. Enfin, les oignons ne sont pas au contact du sol mais sur une couche de pierres sèches. Mais la recherche universitaire ne s’est pas penchée sur ce savoir-faire paysan.
Il arrive que les oignons stockés en plein air soient saisis par les services de police. C’est ce qui est arrivé à Boussaad (M’Sila).
Algérie : l’oignon victime de la surproduction
En 2020 à Aïn Shrouna (Saïda), la récolte a été exceptionnelle et les andains d’oignons s’étiraient à perte de vue en plein air. A l’époque, déçu par le manque d’acheteurs, Abdelkarim Ababou lançait à Ennahar TV :« Le minimum qu’on demande est que les autorités ouvrent des chambres froides ! »
A ses côtés, Chetoun énumérait les dépenses engagées pour produire les oignons, puis, d’un andain, il exhibait des oignons commençant à germer.
Mohamed Belarbi témoignait alors : « Nous avons investi pour rien et sommes découragés. » Puis, il avertissait : « Si cette année l’oignon se vend à 10 DA/kg, l’année prochaine il coûtera 100 DA/kg. »
Cette prophétie semble s’être réalisée. En février dernier sur le marché de détail de Mascara les oignons se vendaient 120 DA/kg. Des consommateurs, tel Ahmed, posaient la question de savoir s’il n’y avait pas des chambres froides regorgeant d’oignons et un approvisionnement des marchés volontairement réduit au minimum pour faire grimper les prix.
Pour Mokhtar, agriculteur, une seule explication : « Comment voulez- vous que des producteurs qui ont dû jeter leur production et ont perdu 40.000 à 50.000 DA l’année dernière se remettent à produire de l’oignon ? »
Vers le doublement des capacités de stockage de l’oignon
En cette fin mars, les services du commerce de la wilaya de Relizane supervisent les opérations de déstockage au niveau d’une chambre froide.
Listing en main, une agente pointe les quantités d’oignons encore présentes. Dans l’immense entrepôt, les palox remplis d’oignons sont empilés sur 5 niveaux et on en compte plusieurs rangées.
Toubal, le propriétaire des lieux, indique à Ennahar TV qu’il approvisionne le marché local et même les wilayas environnantes. Un agriculteur présent sur les lieux confie : « Il me reste 800 quintaux d’oignons à sortir pendant la période du ramadan. »
L’augmentation des capacités de stockage et la diversification des cultures apparaissent comme les moyens pour enrayer le cycle de surproduction qui décourage les producteurs.
Lors du récent forum sur l’autosuffisance en blé dur, le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane a fait part de la volonté des pouvoirs publics de « doubler les capacités de stockage sur l’ensemble du territoire national d’ici la fin de l’année en cours » comme l’a rapporté l’agence APS.
Les chambres froides représentent l’outil idéal pour la conservation. En attendant, les agriculteurs continueront à utiliser les techniques traditionnelles de stockage. L’amélioration de celles-ci mérite toute l’attention.
© Djamel Belaid
https://www.tsa-algerie.com/algerie-un-ramadan-avec-de-loignon-au-prix-dor/
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