Macron voulait réconcilier l’Algérie avec ses Juifs
La décision du président Macron d’inviter le Grand rabbin de France, Haïm Korsia, à l’accompagner en Algérie n’était pas fortuite. Il pensait obtenir la réconciliation entre les Algériens et les Juifs d’Algérie. Il est vrai que la guerre d’indépendance a laissé beaucoup de trace car les Juifs, à quelques exceptions près, avaient pris fait et cause pour l’Algérie française, certains s’étant même engagés aux côtés de l’OAS. Les dirigeants algériens pensaient que la présence millénaire des Juifs dans la région aurait dû les pousser à prendre fait et cause pour le nationalisme algérien. C’était sans compter sur Israël et sur l’inquiétude permanente des Juifs à vivre dans un pays musulman qui avait marqué son virage très tôt au point d’avoir éliminé la langue française des écoles primaires. La jeune génération ne la parle plus. Après des dizaines d’années d’instruction française en Algérie, il ne reste plus rien ayant servi à l’émancipation du pays.
La délégation française, qui accompagnait le président Macron le 25 août contenait plusieurs juifs célèbres originaires d’Algérie, mais pour les Algériens Haïm Korsia faisait désordre. Le rabbin n’est pas né dans le pays mais ses parents sont d’origine algérienne. Malgré cela son déplacement a soulevé un énorme tollé non seulement auprès des partis politiques, mais surtout auprès d’une population intoxiquée politiquement. La répulsion des Algériens à l’encontre des Juifs, qui avaient vécu avec eux pendant des siècles, remonte à ce qu’ils considèrent comme une trahison, à savoir le fait de leur collaboration avec la colonisation française, pendant plus d’un siècle, avant de quitter le pays lors de l’indépendance en 1962 et d’abandonner les Algériens.
Haïm Korsia n’était pas personnellement visé mais il représentait le symbole d’une communauté qui avait choisi la France depuis 1870, date du décret Crémieux qui faisait d’eux des Français à part entière. Les Juifs d’Algérie étaient Français jusqu’au bout des ongles et l’exode vers la France, contrairement aux Tunisiens, n’était pas un exil mais un rapatriement. D’ailleurs l’Agence juive n’avait pas manqué de faire un procès public aux Juifs d’Algérie, dans les années 1960, parce qu’elle ne comprenait pas pourquoi la très grande majorité, 85%, n’avait pas rejoint Israël après l’indépendance de l’Algérie. En fait, cela pouvait se comprendre ; les Juifs d’Algérie s’estimaient français avant tout et ils ne faisaient que passer d’une colonie française à la Métropole. Mais pour les Algériens, il s’agissait d’une trahison.
Les Frères musulmans, très actifs en Algérie, représentent la plus grande force d’opposition au parlement dans le cadre du MSP (Mouvement de la société pour la paix). Leur chef Abderrazak Makri, a condamné le 23 août : «d’intenses tentatives pour entraîner l’Algérie vers la normalisation d’autant que ce rabbin, affiche un soutien sans vergogne à l’entité sioniste. Après le scandale dans lequel des joueurs de football ont été impliqués en visitant l’entité avec leur équipe et en profanant leur histoire avec cette étape misérable qui mettra fin à ses faux intérêts matériels et sera pliée par le temps, et il ne lui reste plus qu’à mentionner le plus odieux voilà encore la France officielle qui ramène le grand rabbin de France qui soutient l’entité et qui dénie leurs droits aux Palestiniens».
Makri faisait référence aux quatre joueurs algériens de l’équipe de France de Nice, qui se sont rendus à Tel-Aviv dans le cadre des qualifications pour les Championnats d’Europe, ce que certains considéraient comme enfreignant les principes qui régissent le sport algérien de ne participer à aucune confrontation directe, avec un adversaire représentant Israël.
L’Algérie s’oppose au processus de normalisation enclenchée par les Accords d’Abraham signés entre Israël et des pays arabes, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc. D’ailleurs, Alger a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en août 2021 en bonne partie à cause de la normalisation de ses relations avec Israël.
En faisant allusion à Chams-Eddine Hafez, avocat franco-algérien, recteur de la Grande mosquée de Paris depuis le 11 janvier 2020, Makri a poursuivi : «Pour camoufler les objectifs de normalisation, Macron a fait venir dans ses valises le doyen de la Mosquée de Paris. La France n’est-elle pas le leader de la laïcité jacobine qui combat toute relation entre la religion et la politique ? Pourquoi alors mêler religion et politique ? Ou bien la laïcité française ne s’occupe-t-elle de combattre l’islam que dans les discours de son président et de restreindre les musulmans au port du voile féminin, dans le discours des imams, la déformation des croyances, l’agressivité médiatique, le racisme dans l’emploi et la promotion sociale des engagés, les restrictions aux mosquées et chapelles ?La pression du système international occidental, mené par la France, sur l’Algérie pour qu’elle se rende n’aboutira pas si les rangs internes sont intacts».
Ce n’est pas la première fois que le président Macron emmène en visite en Algérie une personnalité juive d’origine algérienne. En 2017, l’historien Benjamin Stora, né dans une famille juive de Constantine dans l’est de l’Algérie, l’avait accompagné. Mais, ceux qui arguent de la nostalgie de leur terre d’origine pour renouer avec l’Algérie, sont interdits de séjour. Enrico Macias en a fait les frais lorsqu’en 2000, il avait reçu une invitation de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à se rendre en Algérie, mais la pression populaire et politique l’en a empêché.
Il en est d’ailleurs de même pour les Juifs originaires de Tunisie qui l’ont quittée pour s’installer en Israël. L’abandon par les Juifs de leur terre natale alors qu’ils constituaient une élite indispensable au remplacement des coopérants français était inadmissible. Ils sont d’ailleurs interdits d’entrer dans leur pays d’origine avec un passeport bleu. Les Arabes d’Afrique du nord se justifient : «Cette communauté s’est révélée plus sioniste et plus nombreuse même en comparaison avec les autres pays d’Europe et d’Amérique. Pourquoi ? Israël n’est pas le refuge, mais bien l’objectif. Ce sionisme, s’il présente des aspects politiques et matériels, n’en est pas moins un manifeste spirituel, incluant une vision de rédemption».
Malgré le temps, les Algériens refusent une réconciliation avec les Juifs d’Algérie en raison d’une part de la «trahison» de ceux qui avaient été pendant des siècles leurs compatriotes mais qui ont collaboré avec la colonisation française et d’autre part, en raison de leur sionisme qui a créé «un nouveau colonialisme aussi féroce, si ce n’est plus, à l’encontre du peuple palestinien». Ils n’ont pas oublié non plus qu’en 1960, le général Challe avait négocié avec le général Moshé Dayan un soutien pour la création autour d’Oran d’une entité indépendante, semblable à Israël, pour maintenir définitivement des pieds-noirs en Algérie dans une enclave française. Challe et Dayan avaient organisé ensemble la campagne de Suez de 1956.
Le président Macron ne devait pas ignorer ces réticences et pourtant il a insisté pour emmener avec lui des personnalités juives originaires de l’Algérie et prosionistes convaincus dans ses voyages en Algérie. Il n’a pas compris que le présent israélien rappelait le passé français ! Qu’allait faire le rabbin Korsia dans cette galère ?
Source : benillouche.blogspot.com
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