Nathalie Goulet : « La diversité des modes de financement du terrorisme est telle qu’elle peut aller jusqu’à le faire subventionner à son insu par le contribuable »
La sénatrice (UC) de l’Orne, auteure d’un Abécédaire du financement du terrorisme, souligne la pluralité des méthodes employées.
Atlantico : Vous écrivez que l’abécédaire (votre ouvrage publié aux éditions du Cherche Midi, « L’abécédaire du financement du terrorisme ») atteste du fait que « la créativité, l’opportunisme, la versatilité des terroristes et le caractère protéiforme de la menace sont de nature à désarçonner une communauté internationale souvent bien impotente malgré des progrès spectaculaires ». A quel point le financement du terrorisme est-il divers ? Était-ce ce que vous cherchiez à montrer ?
Nathalie Goulet : Oui. J’avais commencé à écrire sur le sujet, à la suite de mes travaux pour l’Assemblée nationale, sur le terrorisme, en 2015, et mes travaux sur la fraude et l’évasion fiscale. Les deux étant liés, j’ai décidé d’écrire car il fallait informer la population. Il y avait énormément de données et d’informations qui méritaient d’être rassemblées. Un format classique ne donnait rien alors qu’un dictionnaire présentait plusieurs avantages. Et notamment ne pas avoir besoin de lien entre les chapitres, puisque les sources sont très disparates.
Choisir cette forme ne rend-il pas plus difficile la hiérarchie des financements, entre les formes anecdotiques et celles qui représentent le gros du flux ?
C’est vrai, mais la hiérarchie est difficile à faire compte tenu de la créativité des méthodes. Si l’on prend l’exemple des cartes prépayées, j’avais proposé leur interdiction en 2014. Le rapporteur, et le Ministre, m’avaient dit que cela n’avait pas d’intérêt pour lutter contre le financement du terrorisme. Or les terroristes du Bataclan se sont financés par ce biais. C’est donc bien un outil. Il est très difficile de hiérarchiser. Les paris sportifs ne sont aujourd’hui pas une forme de financement. Mais ils pourraient potentiellement l’être. Et certains processus, même s’ils ne financent pas le terrorisme alimentent le séparatisme et pourraient déboucher sur des situations très inflammables.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de hiérarchie objective en montants. La drogue, les armes, le trafic d’êtres humains, la piraterie, la contrefaçon (qu’on sous-estime beaucoup), par leur montant et par leur amplitude peuvent être en tête de ce hit-parade mortifère. Sauf qu’on a besoin de moins en moins d’argent pour organiser un attentat, il ne faut pas du tout exclure les petits moyens qui peuvent s’ajouter. En France, tous les trafics sont là, et il y a aussi beaucoup de fraude à la prestation sociale. Les derniers rapports de Tracfin le montrent bien.
Il y a effectivement, vous le soulignez, besoin de moins en moins de moyens. Vous parlez de micro et macro financement. De quoi est-il question ?
Le terrorisme est désormais low cost. Compte tenu des moyens mis en place, des verrous, des contrôles, il est à mon sens difficile voire impossible de mettre en place des attentats de l’ampleur de ceux du 11 septembre. Les services de renseignements, de surveillance du système bancaire, avec une coopération internationale renforcée sont plus efficaces. D’ailleurs, les derniers attentats commis ont coûté relativement peu cher. Jusqu’en 2001, le financement du terrorisme n’était pas considéré comme un enjeu à part entière, c’était une annexe à la question.
Il y a des exemples surprenants de financements, via le miel ou le chocolat. Quelles sont les formes les plus inhabituelles du financement du terrorisme ?
Évidemment, le miel était une découverte surprenante mais son opacité, son absorption des odeurs, expliquent pourquoi il est utilisé. Il est utilisé au Yémen pour un certain nombre de trafics. Les dessous du trafic d’êtres humains m’ont donné la nausée. J’ai d’ailleurs fait un chapitre sur les Yezidis car un génocide s’est déroulé aux heures de grandes écoutes dans nos médias dans l’indifférence totale. Comme dit Jean Ferrat : « Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire ».
Ce qui m’a le plus surpris, c’est la contrefaçon. L’importance du phénomène m’a étonnée. On sait bien qu’on peut facilement acheter des fausses marques ou des produits contrefaits, on sait que ce n’est pas bien et qu’il ne faudrait pas le faire, mais on se dit que ce n’est pas grave. Or cela finance de vrais réseaux de terrorisme. Plusieurs rapports, dont ceux de Tracfin et d’Interpol, évoquent le sujet. C’est la même logique que les terroristes du Sinaï financés par le cartel de la drogue de Medellin.
Vous soulignez que le Covid montre la facilité d’adaptation des méthodes de financement ? Qu’avez-vous observé ?
Un rapport d’Interpol a souligné les fraudes au vaccin, les contrefaçons de tests, les trafics de faux tests, etc. Ce qu’il est important de retenir, c’est que les réseaux de financement du terrorisme utilisent les mêmes réseaux que la délinquance financière, à commencer par le blanchiment et les paradis fiscaux. Tous les blanchiments et paradis fiscaux ne financent pas le terrorisme, mais beaucoup de financements du terrorisme utilisent ces canaux.
Que ce soit par la contrefaçon ou les cagnottes en ligne, est-ce qu’il y a une forme de banalisation des moyens de financer le terrorisme ?
Oui, car tous les systèmes sont bons à prendre. Les cagnottes en ligne, les prêts à la consommation, etc. A partir du moment où les systèmes montrent des faiblesses ou des légèretés, pour faciliter la vie des consommateurs, les fraudeurs s’engouffrent dans la brèche. Simplifier les choses c’est les rendre accessibles aux malveillants : des simples délinquants financiers au financeurs du terrorisme. Des fraudeurs lambdas ont profité des PGE pendant le Covid par exemple, comme pour les quotas carbone.
Vous évoquez aussi les impôts, ou « quand le contribuable peut financer sans le savoir le terrorisme ou des actes contraires aux valeurs de la République »…
Le principe est que les donateurs déduisent de leurs impôts les dons qu’ils font. Or, il n’y a pas de contrôle des dons effectués car on manque de personnel pour le faire. Dans le livre, je cite une collecte de fonds pour une école des oulémas mauritaniens. Parmi les collecteurs, il y avait l’imam Iquioussen qu’on essaie d’expulser actuellement, ou le cheikh Mohamed Hassan Dadou qui avait appelé au meurtre contre Charlie Hebdo. Or la déduction fiscale accordée retombe sur l’ensemble des contribuables.
– Le citoyen lambda peut-il faire quelque chose pour éviter de financer le terrorisme par erreur ?
Déjà, il faut qu’il respecte la loi. Il faut aussi faire attention aux fraudes et avoir une grande vigilance face aux tentatives d’arnaques. Mais c’est surtout au gouvernement d’être plus ferme.
A problème protéiforme, solution protéiforme, comment faire pour s’attaquer à toutes les têtes de l’hydre en même temps ?
Déjà, les identifier et les nommer est essentiel. Ensuite, et cela s’est beaucoup amélioré, il faut une vraie coopération internationale. Mais il reste d’énormes sujets. C’est l’Europe qui a dû nous imposer d’assujettir les cagnottes en ligne aux obligations de LCB-FT ,et donc aux déclarations de soupçons auprès de Tracfin après que le Sénat français ait adopté cette mesure dans la loi sur les principes de la République ,mais que l’Assemblée Nationale ait supprimé cette disposition de bon sens . Cela devrait normalement pouvoir être le cas pour les cagnottes de soutien à l’Imam Iquioussen. Mais les contrôles se renforcent.
Dans le monde il n’y a pratiquement plus de terrorisme d’Etat. Donc il y a eu une vraie prise de conscience et nos services sont mieux armés qu’ils ne l’étaient. Mais il n’est pas sûr qu’ils soient suffisants. Il est important de noter que les progrès faits dans la lutte contre la fraude fiscale l’ont été à l’occasion de mesures prises pour lutter contre le financement du terrorisme.
A quel point fraude et financement du terrorisme sont-ils liés ?
Il y a une porosité complète : ports francs, paradis fiscaux, blanchiment, etc. Certains lieux favorisent le blanchiment pour des raisons politiques et économiques, mais cela va probablement, au moins en partie, servir à autre chose. Tout ce qui crée de l’opacité, favorise les réseaux et le financement du terrorisme. Et c’est sans oublier le sujet montant des cryptoactifs. L’Europe prépare une directive contre l’opacité de ce secteur qui se développe, y compris dans les terrains sablonneux, certains pays légalisent comme l’Ukraine ou en Afrique. D’autres interdisent C’est un sujet important et j’ai demandé une commission d’enquête sur le sujet. Et le problème, et notamment selon la BCE, c’est qu’il n’y a pas suffisamment d’experts en cryptoactifs. Je considère que les parlementaires ne sont pas suffisamment armés pour discuter d’un texte sur les cryptos car ils n’y comprennent rien ou pas grand-chose. Avant de légiférer, il faut savoir de quoi on parle ,il y a des cas des blanchiments et de financement du terrorisme via des cryptoactifs ,il faut donc bien comprendre le mécanisme pour évaluer si ils présentent des risques ou pas.
Nathalie Goulet, Sénateur de l’Orne depuis 2007 et vice-présidente de la Commission des lois depuis 2020, publie « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi.
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