« Le sentiment de l’été est devenu un mauvais pressentiment »
Humeur
Garance Meillon, scénariste, réalisatrice et écrivaine, explique pourquoi elle redoute de plus en plus ce qui était avant sa saison préférée.
Dans le film d’André Téchiné Ma saison préférée, dont j’ai longtemps eu le poster dans ma chambre, quelqu’un pose à Daniel Auteuil la question qui donne son titre au film. Sans hésiter, il répond l’été – à l’instar de Catherine Deneuve, qui joue sa sœur. À ce moment-là, autour de la table du dîner, dans le jardin, la caméra part en travelling et leurs regards se croisent en silence. C’est un moment puissant, qui signe une connivence entre eux, une émotion partagée, des souvenirs qui reviennent et que nous, spectateurs, ne pouvons que deviner d’après notre propre rapport à cette saison : ils ont grandi ensemble et ils aimaient tous les deux l’été, avec ce que cela suppose de fous rires et de jeux.
Toute ma vie, moi aussi, j’ai répondu l’été. C’était à la fois une évidence et une image d’Épinal : l’été, la saison de l’insouciance, un temps sans emploi du temps, justement, et dont la notion changeait chaque jour. L’été : une longue plage de deux mois qui avait pour seules constantes la liberté, les glaces, les amis éphémères, la nuit qui tombait tard, et le sommeil paisible au son des grillons sous des ciels étoilés.
Une saison idéale et idéalisée, dont les journées qui atteignaient les trente degrés voyaient les commerçants du marché nous dire qu’il faisait chaud aujourd’hui, quand même, et qu’on espérait que ça baisse un peu demain. Et que dire des décennies précédentes ? En 1978, vingt-huit degrés à l’ombre c’était fou, c’était trop, chantait Jean-François Maurice.
« Il y a quelque chose à dire du rapport à une saison qui finit par changer. »
Aujourd’hui, en regardant quotidiennement les températures à venir sur l’application de mon téléphone, avec une inquiétude que j’aimerais faire passer pour de la prévoyance, j’ai compris que cette époque était révolue. Fini le temps de l’innocence, l’été devient de plus en plus synonyme de canicule, de sécheresse, d’incendies. Aux promesses des journées à rallonge s’est substituée la menace d’un fardeau qui s’éternise : la chaleur. Comme beaucoup d’autres, j’ai commencé à ressentir ce que l’on nomme de l’éco-anxiété à partir du moment où j’en ai directement subi les conséquences : à savoir, en l’état, un appartement invivable au-dessus des trente-deux degrés.
Sans vouloir ajouter à l’angoisse générale, il y a quelque chose à dire du rapport à une saison qui finit par changer. Qu’en est-il à présent de ce « sentiment de l’été », pour reprendre une fois encore un titre de film ? Où est-il passé, ou plutôt : qu’est-il devenu ? La joie sans équivoque de mon cœur d’enfant m’est descendue dans l’estomac. Le sentiment de l’été : plutôt un mauvais pressentiment, maintenant, comme une peur au ventre.
La plage des deux mois d’insouciance, le sacro-saint juillet-août, s’est transformée en échéance, avec en ligne de mire la rentrée de septembre comme marqueur symbolique de la fin du calvaire – et de la reprise du travail.
« Fugaces et transitoires, l’automne et le printemps passent le plus souvent en un souffle. »
Si l’été, le temps des vacances, devient source d’une anxiété nouvelle, peut-être le seul moment supportable de l’année est-il désormais celui du travail – donc, en résumé, les autres mois, à l’exception des fêtes de fin d’année. Ironie ultime pour une époque qui mélange plus que jamais business et détente, professionnel et personnel : le seul moment qui, dans l’imaginaire collectif, a toujours été exclusivement consacré au repos s’apparentera de plus en plus à une catastrophe annoncée.
Fugaces et transitoires, l’automne et le printemps passent le plus souvent en un souffle. Ne reste plus que l’hiver. Winter is coming : l’annonce alarmante de Game of Thrones cachait-elle en fait un soupir de soulagement ?
Par Garance Meillon www.marianne.net
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