Le chef du parti de centre droit Yesh Atid appelle à faire barrage contre le premier ministre lors des élections législatives du 23 mars.
Yaïr Lapid tient sa chance. L’éternel second couteau de la politique israélienne s’est imposé comme le principal rival de Benyamin Nétanyahou aux législatives du 23 mars. A la tête de sa solide formation de centre droit, Yesh Atid, il dispose d’une chance, fort mince, de réunir une opposition morcelée, exaspérée par deux ans de campagne et quatre scrutins depuis mai 2019.
M. Nétanyahou n’en a que pour lui. Discours après discours, il fait mine de le chercher sous le podium : « où est Yaïr ? » M. Lapid est invisible. Il se tient à une implacable discrétion, refusant toute interview en « prime time » sur les grandes chaînes d’information. Il préfère répondre sur Zoom aux questions de centaines d’électeurs chaque jour, rassemblées par un appareil militant rodé. M. Lapid refuse les polémiques et s’abstient de toute attaque ad hominem.
Certes, il s’en prend à M. Nétanyahou, « l’architecte d’une tension constante dans la société israélienne », déplorait-il dans une récente interview en ligne pour le Tel-Aviv International Salon. Mais, bien vite, il élargit le débat à la menace pour la démocratie que représente, dit-il, un premier ministre en procès pour corruption. « Nétanyahou a décidé de transformer Israël en une démocratie illibérale. Parce que, tôt ou tard, il faudra que la justice abandonne les charges qui pèsent contre lui, accuse-t-il. Il n’ira pas en procès. Il n’ira pas en prison. A moins que nous arrêtions cela. »
Cette retenue paie dans les sondages : son parti est crédité de 19 sièges sur 120, contre 29 pour le Likoud de M. Nétanyahou. Surtout, elle donne de l’air aux autres formations d’opposition. Notamment à celles qui risquent de passer sous la barre des 3,25 % des voix et de ne pas entrer au Parlement : le parti de gauche Meretz ou les islamistes de Mansour Abbas. « La priorité de Lapid, c’est un ensemble de valeurs qui incluent de se débarrasser de Nétanyahou et de sa cohorte. Nul homme, aucun parti ne peut le faire seul. Il faut une coalition pour cela », résume l’architecte de cette campagne équilibriste, l’Américain Mark Mellman, consultant proche du Parti démocrate à Washington.
Macron comme modèle
« Je ne prétends pas que je n’ai pas d’ambition personnelle. Je suis plutôt ambitieux… Mais ça n’est pas le moment : chacun doit comprendre qu’il aura à sacrifier quelque chose », prévient M. Lapid, seul candidat à privilégier clairement un changement de premier ministre à sa propre candidature. Cette humilité ne cesse de surprendre.
Ancien journaliste star de la télévision, contempteur des gâchis budgétaires, M. Lapid est entré avec fracas en politique en 2013. Depuis lors, les commentateurs n’ont cessé de le présenter comme un dilettante imbu de son intelligence et de son bagout mais sans éducation (il a quitté le lycée avant de passer l’équivalent du baccalauréat) et sans colonne vertébrale. Ils en font un pur produit de l’élite de Tel-Aviv. Son père, Tommy, était journaliste lui aussi avant d’entrer en politique. Yaïr écrira une « autobiographie » de ce survivant de la Shoah après sa mort, s’exprimant à sa place à la première personne. Sa mère, dramaturge, est la fille de l’un des fondateurs du quotidien de centre droit Maariv.
Les critiques ont beau jeu de pointer sa faible expérience. M. Lapid a servi moins de deux ans au gouvernement, jusqu’en 2014, comme ministre des finances de M. Nétanyahou. Boxeur amateur, il affiche une image virile, tee-shirts et costumes serrés sur sa musculature, et se proclame « faucon » en matière de sécurité. Mais il manque de crédit en ce domaine crucial.
Qu’importe. M. Lapid a enterré politiquement les trois anciens chefs d’état-major de l’armée dont il avait fait ses partenaires, en 2019, en créant le mouvement centriste Bleu Blanc. Leur leader, Benny Gantz, incarnait l’alternative la plus crédible depuis une décennie au règne de M. Nétanyahou, jusqu’à accepter, en mai 2020, de le rejoindre dans une coalition, avec le général Gabi Ashkenazi. Aujourd’hui, ces deux hommes paraissent ruinés. Le parti de M. Gantz n’est pas même assuré de passer la barre des 3,25 %.
Le troisième officier, Moshe Yaalon, demeuré comme M. Lapid dans l’opposition, s’est retiré de la course électorale faute d’entrain. « Depuis deux ans, nous avons vu les généraux s’écrouler. Nous les croyions solides, des stratèges… Yaïr avait tout donné pour faire élire Gantz. Lui au moins est resté solide », soupire Karin Elharrar, députée de Yesh Atid.
En 2020, Yaïr Lapid s’est démené pour apparaître en campagne aux côtés du président français, Emmanuel Macron, ce modèle centriste qu’il considère comme « le plus brillant » parmi ses pairs. M. Lapid apprécie son aura intellectuelle, lui qui multiplie les références philosophiques en campagne. Il s’attriste de voir M. Nétanyahou allié à la droite extrême, poussant les contradictions de l’Etat « juif et démocratique » à l’incandescence. « Nos pères fondateurs savaient qu’elles seraient source de tensions permanentes et aujourd’hui on nous demande de choisir. Moi je veux les deux », dit-il.
Peu porté sur la religion
Remarié et père de trois enfants, peu porté sur la religion, M. Lapid lutte de longue date contre l’influence des partis ultraorthodoxes, alliés indéfectibles de M. Nétanyahou. Ce combat le sert, alors que les haredim ont exaspéré le pays durant l’épidémie due au coronavirus, en refusant de respecter les confinements. M. Lapid dénonce leurs représentants, mais il se garde d’attaquer les religieux dans leur ensemble. L’équilibre, toujours.
Remarié et père de trois enfants, peu porté sur la religion, M. Lapid lutte de longue date contre l’influence des partis ultraorthodoxes, alliés indéfectibles de M. Nétanyahou. Ce combat le sert, alors que les haredim ont exaspéré le pays durant l’épidémie due au coronavirus, en refusant de respecter les confinements. M. Lapid dénonce leurs représentants, mais il se garde d’attaquer les religieux dans leur ensemble. L’équilibre, toujours.
A l’international, il estime que M. Nétanyahou a mis en danger la relation avec Washington, en s’alignant sur l’aile trumpienne du Parti républicain. Pour le reste, il ne s’en distingue guère. Il a condamné à sa suite l’accord sur le nucléaire iranien de 2015. Il se dit favorable à un Etat palestinien, mais il n’en fait nullement une priorité « pour les prochaines années », et n’a aucun espoir de paix à long terme.
S’il déplore aujourd’hui les attaques de M. Nétanyahou contre la justice et les contre-pouvoirs en Israël, M. Lapid les a dénigrés lui aussi par le passé. Il a qualifié de « subversion » les critiques de l’ONG Breaking the Silence contre les abus de l’armée dans les territoires palestiniens. Quant à la Cour suprême, il a combattu en 2017 sa décision, rare, de faire démanteler une colonie illégale en Cisjordanie. Il s’affichait alors aux côtés d’un leader de l’extrême droite religieuse, Naftali Bennett.
Après le scrutin du 23 mars, les deux hommes devront négocier pour tenter de former un gouvernement. Reste à savoir qui en prendrait la tête.
source le monde.fr