Suite à la rupture de la Liste unifiée, les partis arabes d’Israël se préparent pour un scrutin marqué par les divisions internes et la concurrence des partis sionistes qui cherchent à capter une partie de l’électorat arabe.
La figure de Benjamin Netanyahu, de dos, est flanquée de ce qui résonne comme un avertissement : « Il a tourné le dos à tous ceux qui l’ont soutenu, et vous nous parlez d’un nouveau programme ! » À l’approche des élections législatives israéliennes du 23 mars, une affiche de la liste unifiée des partis arabes contre-attaque suite à l’opération séduction lancée par le Premier ministre en direction de la communauté arabe – 20 % de la population totale du pays. Ou plutôt ce qu’il reste de la liste unifiée, car à quelques semaines du scrutin, le quatrième en moins de deux ans, l’alliance formée en 2015 s’est désintégrée suite à la défection de l’un de ses membres, Abbas Mansour.
Tout avait pourtant commencé comme une belle promesse, celle de l’union inédite d’anciens partis rivaux dans le but de renforcer la représentation de la communauté palestinienne – plus connue sous le nom de communauté « arabe israélienne » – à la Knesset. En 2015, quatre partis arabes (Balad, Hadash, Ta’al, Liste arabe unifiée) que tout oppose sur le plan des idées et des programmes se réunissent au sein d’une liste rassemblant des communistes, des islamistes, des libéraux et des nationalistes laïcs. Il s’agit d’unir les rangs suite au vote d’une loi fixant à 3,25 % le nouveau seuil électoral minimum afin d’accéder au Parlement. Le pari semble fonctionner : la liste remporte 10 sièges en mars 2019, puis 13 aux élections de septembre 2019, parvenant progressivement à remobiliser un électorat arabe (votant désormais à 80 % pour la liste unifiée) fatigué, dont le taux de participation s’était effondré. Mais le véritable sacre arrive en 2020, lorsque la liste unifiée enregistre une victoire historique, en raflant 15 sièges à la Knesset et en se positionnant comme troisième force politique du pays – après le Likoud de Benjamin Netanyahu, et la formation centriste Kahol Lavan (« Bleu Blanc ») de l’ancien général Benny Gantz. La liste unifiée devient un interlocuteur inévitable pour la formation d’une majorité gouvernementale. Elle « s’est d’ores et déjà imposée comme “faiseur de rois” dans le paysage politique israélien », estime à l’époque dans ces pages Khaled Elgindy, du Middle East Institute.
Au-delà des chiffres, la liste unifiée nourrit l’espoir d’une transformation de l’espace politique israélien. Sur la base d’un partenariat arabo-juif égalitaire, et grâce notamment à l’émergence de nouvelles figures médiatiques comme Ayman Odeh ou Ahmad Tibi, les Palestiniens d’Israël semblent enfin avoir voix au chapitre. En considérant de siéger au sein d’un gouvernement sioniste, ces derniers opèrent également une rupture historique avec la ligne des partis arabes qui s’étaient traditionnellement tenus en marge de la vie politique israélienne. Des désaccords internes persistent – notamment avec le refus de Balad de soutenir un possible gouvernement mené par Benny Gantz. Mais le fait que le sujet soit sur la table de discussion est déjà un changement. En échange, la communauté arabe espère pouvoir en tirer des bénéfices sur le terrain – par exemple plus de financements pour les municipalités arabes en matière d’éducation ou de sécurité, ou encore l’arrêt du processus d’annexion. Derrière les succès électoraux et les tractations politiques, c’est la place de la communauté palestinienne au sein de la société israélienne qui semble se jouer. D’autant qu’en attirant une partie de l’électorat juif déçu par les partis de la gauche sioniste, la liste unifiée entretient l’espoir d’un jour transcender les divisions communautaires.
Désillusions
Mais l’emballement est de courte durée et les espoirs de la communauté arabe sont vite rattrapés par les froides réalités du jeu politique. De janvier à juillet 2019, la liste se sépare une première fois suite à la défection de Ta’al, avant de se recomposer à la veille des élections de septembre. Près de deux ans plus tard, en janvier 2021, c’est au tour du parti de Abbas Mansour, la Liste arabe unifiée, de faire bande à part, jusqu’à envisager de s’associer au Premier ministre Netanyahu. Mais à la différence de 2019, la réconciliation n’aura pas lieu, et c’est bien sur deux listes différentes que la liste unifiée et celle menée par M. Mansour se présenteront aux législatives de mardi prochain. Avec cette nouvelle scission, les incompatibilités idéologiques reviennent au premier plan. Les députés issus du parti de Abbas Mansour, se revendiquant de l’islam politique, s’opposent à la Knesset à un projet de loi visant à interdire les thérapies de conversion – ces traitements très controversés utilisés dans le but de changer l’orientation sexuelle d’une personne. La Liste arabe unifiée se démarque des positions libérales de la Liste unifiée, qui a voté en faveur du projet de loi. À partir de là, M. Mansour assume un discours plus religieux, qui lui semble plus compatible avec la droite israélienne qu’avec les traditionnels alliés de la gauche sioniste. Les lignes de fracture idéologiques ont toujours existé, mais elles semblent cette fois remettre en cause la possibilité même d’une représentation unifiée à la Knesset. Évidemment, la scission des partis arabes israéliens n’est pas isolée. Elle est l’extension naturelle des divisions à l’intérieur d’une communauté arabe qui ne partage ni les mêmes valeurs ni les mêmes projets de société. « Au modernisme d’un Ayman Odeh répond le conservatisme d’une partie de la communauté qui se replie sur des valeurs islamiques », ce qui inclut « une réticence sur certaines questions de société, comme le droit des homosexuels », souligne Amélie Ferey, chercheuse au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Le divorce politique reflète le fossé grandissant séparant, d’une part, une jeunesse palestinienne diplômée vivant confortablement dans des centres urbains mixtes (juifs-arabes) et, d’autre part, une frange plus religieuse mais aussi plus isolée, ne parlant pas hébreu et vivant dans des conditions plus modestes.
Confrontés aux désillusions, contraints à la désunion, les partis arabes devront lors du scrutin de mardi d’abord dépasser le seuil minimum de 3,25 % afin, simplement, de siéger à la Knesset. Pour cela, ils devront remobiliser la communauté : les convaincre de dépasser les difficultés pratiques liées au coronavirus comme le changement du lieu de vote ; et les persuader qu’il vaut encore la peine de se déplacer, alors même que le refus de Benny Gantz de siéger dans un gouvernement aux côtés des Arabes a été la leçon la plus douloureuse du scrutin de l’an dernier. Enfin, il leur faudra faire face non seulement à la concurrence des partis arabes entre eux, mais aussi à l’offensive des mouvements sionistes, parmi lesquels le Likoud et le parti « New Hope », qui cherchent à capter une partie des voix arabes. Beaucoup d’incertitudes rendent donc l’issue du scrutin imprévisible, mais une chose est certaine : l’engouement historique ayant mené il y a un an à l’entrée d’un nombre record d’Arabes Israéliens à la Knesset est déjà de l’histoire ancienne.
source: https://www.lorientlejour.com/article/1255981/lunion-politique-des-palestiniens-disrael-un-pari-perdu-davance-.html#