C’était le 7 octobre, il y a un an ; un samedi comme un autre, un jour de repos, un jour où adultes comme enfants s’adonnent à leurs obligations, à leurs loisirs ; un jour où l’on ne pouvait imaginer autre chose que paix et quiétude.
Dans le sud du pays, une fête battait son plein, chants, musiques, danses , rires éclairaient le visage et le cœur de tous ces jeunes qui fêtaient l’amitié et la solidarité entre peuples de tous horizons.
Malgré les sons lointains de cette animation qui se terminait doucement alors que le jour s’entrouvrait légèrement, nous avons pu entendre sourdement, le bruissement des feuilles sur les arbres, le clapotis des vagues qui s’agitaient avant de s’écraser sur la rive et l’envol de quelques oiseaux qui perchaient sur les branches desséchés par la chaleur d’un été qui ne semblait pas si loin.
Et puis, brusquement, le ciel s’obscurcit, la mer avait perdu son calme, le sol se mit à trembler comme un séisme empreint de secousses mortifères.
Par les eaux, par les airs, par la terre, l’instant a montré comment des bêtes sauvages assassinent.
La scène et le décor sinistres étaient plantés dans le pays.
Quelques mots, quelques questions, quelques craintes et nous voilà devenus, malgré nous, spectateurs sans voix, par dizaines, par centaines, par milliers , paralysés, cloués sur un siège rembourré d’angoisse.
Ce fut un spectacle un peu flouté qui s’éclaircissait au fur et à mesure de l’évolution.
Nous avons vu des femme pliées, agenouillées, le sang avait maculé et souillé leur tenue blanche, c’était le sang des balles, des couteaux, le sang qui giclait de leur intimité.
Nous avons vu des filles martyrisées comme si elles étaient devenues les pions d’un jeu abject et pervers sur leur corps, des filles désarçonnées, désarticulées, écartelées, disloquées, dans leur chair écrasée, dans leur âme ébranlée.
Nous avons vu des mères éventrées avec une vie au creux de leurs entrailles
Nous avons vu des bébés, perforés, sectionnés, étêtés ; brûlés, réduits en cendres.
Nous avons vu quelques hommes qui purent sauver leurs proches et d’autres qui succombèrent devant les meutes sanguinaires.
Nous avons vu des vieillards abattus comme des chiens et des chiens également abattus , afin qu’aucune trace, aucune once de vie ne subsiste.
En un éclair, ,la fête se changea en cauchemar, les cris de joie devinrent des cris d’effroi, de panique, accompagnées par le hurlement des barbares et celui des sirènes.
Nous avons vu des familles, des enfants sans leurs parents, des parents séparés de leurs enfants, des couples désunis, qu’on emmena, en captivité, vers des lieux sans lumière, sans soins, sans vie.
Peu importait s’il s’agissait d’hommes, de femmes, d’enfants ou de vieillards ; c’était une atroce monnaie d’échange, une incarcération pour n’avoir commis aucun délit, aucun crime.
Un an après, jour pour jour, nous entendons encore le bruit de leurs silences, seul timbre à peine audible des entrailles abyssales d’une terre creusée au fond de souterrains aux couleurs de l’enfer.
Un an après, nous avons appris que si certains ont pu retrouver leur liberté, beaucoup ont été découverts sans vie.
Un an après, les familles concernées se demandent quand leurs absents pourront revenir parmi eux.
Un an après, les nuages blancs se sont enténébrés, les fragments de rêves se sont laissé abuser par une utopie désespérante.
Un an après, nous percevons au loin, comme un écho assourdissant, les bruits de cette manifestation festive devenue depuis le spectacle de l’horreur.
Nous voyons, nappés d’un brouillard qui laisse transparaître leur visage, les silhouettes de ces presque adultes, aux visages d’enfants.
Nous voyons une qui voulait danser, un qui voulait faire de la musique, d’autres qui voulaient chanter, qui voulaient rire.
Ce 7 octobre, ils voulaient simplement continuer à vivre.
Un an après, devant de minces espoirs qui se sont effilochés, presque envolés, nous voyons apparaître le spectre d’autres massacres, il y a près de quatre-vingts ans.
Nous avons cru que l’inimaginable, l’indicible, ne pourraient plus resurgir.
Eux aussi voulaient vivre et eux aussi n’ont pas pu parce que les chacals exsangues du moindre grain d’humanité ont arrêté sans retour le cours de leur vie.
© Rémy Azria
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