ALAIN PITTON / NurPhoto via AFP
Un an après la frappe du Hamas sur Israël, les actes antisémites ont explosé en France. Pas un lieu où il ne puisse ramper, agresser ou s’afficher, attisé par des prosélytes haineux. Dans la rue, la sphère politique, à la fac et jusque dans les écoles, il ne se tient plus dans l’ombre de la vie publique.
En France, on peut donc tranquillement appeler à célébrer un massacre antisémite. Ce dimanche 6 octobre, le collectif Urgence Palestine invite, à Pantin, en Seine-Saint-Denis, à une réunion publique baptisée «Le jour d’avant». «Une injure faite aux victimes des attentats du Hamas et une forme de légitimation du terrorisme», s’est ému Yonathan Arfi, président du Crif, sur X. «Au-delà d’être une ignominie, a renchéri la députée des Français hors de France, Caroline Yadan, cette réunion publique sape les fondements mêmes de notre démocratie». Malgré plusieurs recours, elle n’a pas été interdite.
Depuis l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, après les marches et les bougies, qu’est-ce qui a changé dans la société française ? Dans plusieurs villes, de Paris à Marseille, en passant par Nice ou Nantes, des tags antisémites et des croix gammées sont apparus sur des habitations ou des commerces. Des slogans haineux, comme «Mort à Israël, mort aux juifs», des banderoles «Sionistes hors de nos facs», se sont immiscés dans les universités. À deux reprises cette semaine, dans le hall de Sciences Po Paris, des militants masqués, keffiehs sur la tête, ont manifesté aux cris de «Free Palestine» et «Résistance !». Quant aux affiches des otages, placardées dans les rues, elles ont régulièrement été arrachées. Se souvient-on que le petit Kfir Bibas a eu un an en captivité ?
Le festival du film israélien annulé
Cet été, lors de l’hommage en mémoire des athlètes israéliens assassinés pendant les JO de Munich, rappelle la journaliste Rachel Binhas dans son livre Victimes françaises du Hamas , «une ancienne grande championne, ex-ministre des Sports, a décliné l’invitation au motif que cela pouvait venir ‘troubler la paix et l’unité des Jeux’». Même frilosité dans le milieu culturel. L’histoire de Galit Jaoui – apparentée à l’actrice Agnès Jaoui -, Franco-Israélienne ayant perdu sa fille et sa mère le 7 octobre, s’est heurtée à l’indifférence, «ses interlocuteurs refusant de condamner publiquement les actes du Hamas». Sur fond de pressions de collectifs propalestiniens, le festival du film israélien Shalom Europa, qui devait se tenir en septembre à Strasbourg, a carrément été annulé.
À l’incendie criminel de la synagogue de Rouen, le 17 mai, a succédé l’attaque de celle de La Grande-Motte, dans l’Hérault, le 24 août. Début septembre, c’est un appel à l’Intifada qui résonnait dans les rues de Paris, sous l’œil bienveillant d’élus LFI. Après un signalement de l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le militant d’Urgence Palestine Élias d’Imzalène sera jugé le 23 octobre.
Ce sont 887 actes antisémites qui ont été recensés par le ministère de l’Intérieur au premier semestre 2024. Presque cinq faits par jour. Près de trois fois plus qu’en 2023 sur la même période. «L’antisémitisme, qui a toujours existé, désormais ne se cache plus», a dénoncé cet été Gérald Darmanin. En raison de l’anniversaire de l’attaque du 7 octobre, des fêtes juives et de la crise au Proche-Orient, son successeur, Bruno Retailleau, a demandé la sécurisation renforcée «des offices et des sites d’intérêts» de la communauté juive pendant tout le mois d’octobre.
«Changer complètement de vie»
«Tu es juive, donc je ne te coifferai pas» : face à cette sentence, Yaël (2) avait eu, en novembre dernier, «l’impression de porter l’étoile jaune». Sa coiffeuse de Gagny, en Seine-Saint-Denis, n’a finalement pas été jugée. «Ils ont dit que c’était ma parole contre la sienne, explique Yaël. L’antisémitisme règne toujours ici, on essaie de faire avec, il n’y a pas le choix. Déjà, j’estime que j’ai eu de la chance qu’elle ait fait de la garde à vue…».
L’enquête ouverte pour un viol et des menaces à caractère antisémite sur une mineure à Courbevoie (Hauts-de-Seine) est toujours en cours. Mais pour que la fillette de 12 ans, séquestrée et violée par trois adolescents en juin, puisse se reconstruire, sa famille a dû «changer complètement de vie, déménager dans un autre département», indique Me Muriel Ouaknine-Melki, son avocate. «L’ensemble des élèves de sa classe a reçu les vidéos de son viol, adressées par l’un des auteurs, précise-t-elle. La seule façon pour elle de repartir dans une scolarité normale était donc d’aller dans un établissement où personne ne connaît son histoire. Un suivi psychologique important a été mis en place. Elle a payé dans sa chair le prix le plus fort de notre incapacité à la protéger».
Présidente de l’Organisation Juive Européenne (OJE), Me Ouaknine-Melki «reçoit tous les jours de nouvelles affaires». Depuis le 7 octobre, elle observe une évolution dans le traitement des atteintes à caractère antisémite : «Dans les dossiers que l’on a pu suivre, toutes les plaintes concernant des personnes physiques, ainsi que celles concernant des propos sur les réseaux sociaux, ont reçu une réponse pénale rapide et adaptée, avec des sanctions fermes, détaille-t-elle. En revanche, sur toutes les plaintes politiques, qui concernent des personnes investies d’un mandat électoral, s’il y a eu des convocations en justice, elles n’ont donné lieu, pour l’heure, à aucune poursuite. Nous restons dans l’attente, après de longs mois d’enquête, de la réponse pénale que le parquet de Paris voudra bien y apporter».
Or ces propos d’élus – qualifiés soit d’apologie du terrorisme, soit de provocation à la haine – «sont hautement problématiques, car ils s’impriment souvent chez des esprits un peu faibles, poursuit Me Ouaknine-Melki. Depuis le 7 octobre, nous avons eu deux tentatives d’attentat antisémites, et cette attaque contre la synagogue de la Grande-Motte, qui vient confirmer que le pire peut encore arriver…».
De nouveaux habits pour des vieilles idées.
De lâchetés en renoncements, «on s’habitue à des événements graves de plus en plus fréquents, déplore l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler. Ces brimades et autres intimidations contre la communauté juive existent depuis des décennies. Mais si on n’identifie pas la cause sous-jacente de cet antisémitisme, si on ne la dénonce pas, il y a très peu de chances d’endiguer son développement ! On en fait un problème géopolitique alors que, en réalité, il n’est pas le fruit de l’importation du conflit israélo-palestinien, il est seulement attisé par ce conflit. La révolution prolétarienne a pris les traits de l’Intifada et de l’antisionisme, de nouveaux habits pour des vieilles idées. Bien qu’il y a trois ans, le CNRS ait affirmé que l’islamogauchisme ne correspondait à aucune réalité scientifique, cette alliance s’est rendue manifeste depuis le 7 octobre ».
Depuis un an, «le frérisme aiguillonne l’antisémitisme partout où il le peut», souligne la chercheuse au CNRS. «Je comprends le Français moyen qui pense que tout cela nous vient d’ailleurs, assure-t-elle. Or tout cela est fait maison, et en particulier dans nos universités : on y laisse les étudiants se faire endoctriner par des mouvements de la gauche radicale, sans possibilité pour eux de réfléchir d’une autre manière puisque des gens comme moi n’ont pas accès aux campus. On est en train de ‘dé-former’ des étudiants qui ne seront plus capables de débattre mais seulement de manifester. J’espère que le nouveau ministre va agir, parce que cela devient urgent : j’ai des collègues juifs qui ne peuvent plus enseigner car leurs cours sont sans arrêt contestés».
Linguiste, maître de conférences à l’université Sorbonne-Nouvelle, la franco-israélienne Yana Grinshpun acquiesce : «Dans mon université, les choses vont de mal en pis, constate-t-elle. Par ailleurs, on assiste à l’indifférence des collègues, si ce n’est de la complaisance de certains. Les membres du Comité Palestine, très actifs, peuvent devenir violents, même physiquement. Lors d’une réunion ce mercredi, ils ont ouvertement fait l’apologie du terrorisme, en soutenant le Hamas. Dans leurs tracts, le mot «révolution» remplace le terme djihad ; comment se fait-il que l’on puisse clairement appeler au djihad au sein de l’université ? Certains de mes étudiants ont très peur et envisagent de quitter la fac ».
32 nouvelles classes dans l’enseignement juif.
«S’il n’est pas opéré un changement rapide par un plan d’action massif, c’est par sa jeunesse, et d’autant plus nettement qu’elle est de confession ou de culture musulmane, que la société française sera gagnée par l’antisémitisme», alerte Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol. L’édition 2024 de son étude sur l’antisémitisme en France révèle que depuis le 7 octobre, un Français de confession juive sur quatre a été victime d’un acte antisémite. L’école constituant «le premier lieu d’exposition» à de tels actes.
Le ministère de l’Éducation nationale vient justement de publier ses chiffres: plus de 3.600 actes racistes et antisémites ont été recensés sur l’année scolaire 2023-2024, multipliés par près de trois en un an. Directeur de l’action scolaire du Fonds social juif unifié (FSJU), Patrick Petit-Ohayon décrit «une arrivée continuelle d’enfants venus du public». «L’an dernier, après le 7 octobre, une cinquantaine d’élèves sont arrivés en cours d’année dans des établissements juifs, ce qui est rare, affirme-t-il. 32 nouvelles classes ont été créées cette rentrée, alors que ces dernières années, on était plutôt sur une vingtaine». «Murs et portail surélevés, caméras, vitres pare-balles, sas et agent de sécurité, présence dynamique de la police ou de l’armée», cinq nouveaux groupes scolaires ont ouvert en 2024.
«On s’aperçoit que le critère de la sécurité devient prioritaire sur le choix d’étudier les textes du Talmud, regrette Patrick Petit-Ohayon. Il est insupportable que les jeunes juifs de France ne puissent pas aller dans les écoles de leur choix ! Mais là où l’inquiétude des parents grandit encore, c’est pour le post-bac : ils se demandent de plus en plus si leur enfant doit faire ses études ici».
Ce qui a «radicalement changé» pour un étudiant juif en France ? «C’est qu’avant, il pouvait traverser toutes ses études sans avoir à se mobiliser ni débattre, répond Yossef Murciano, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Aujourd’hui, il doit avoir un avis sur la question juive, être capable de répondre à des injures voire des agressions. Le fait d’être juif nous propulse dans une position de militant». L’UEJF, qui a «lancé pas mal de procédures l’an dernier», attend toujours les suites. «On va devoir passer à l’étape supérieure, insiste le jeune homme, se constituer partie civile, accentuer la pression sur la police et la justice, des institutions qui avaient mis un point d’honneur à nous soutenir après le 7 octobre».
5.700 ouvertures de dossier d’alya
D’après une récente enquête du FSJU, 46 % des jeunes Juifs français seraient prêts à faire leur alya. Des «retours en Terre sainte» opérés de plus en plus pour des raisons de sécurité. Au 31 août, l’Agence juive, l’instance chargée d’accompagner les démarches des candidats au départ vers Israël, avait comptabilisé 5.700 ouvertures de dossier d’alya depuis le 7 octobre 2023, contre 1.300 l’année précédente pour la même période : une hausse de 338 % ! Plus de 1.660 personnes ont effectivement quitté la France depuis le 7 octobre (contre 1.100 sur l’année 2023), précise l’Agence juive, qui s’attend à dépasser, en fin d’année, «le cap des 2.000».
Max (2), 24 ans, n’a «jamais été aussi juif» qu’aujourd’hui. «Avant, je naviguais entre le catholicisme de mon père et la religion juive de ma mère, explique le jeune homme. Après le 7 octobre, je me suis complètement replongé dans le judaïsme. Je me suis fait circoncire. Quand on a le sentiment que tout s’effondre, il faut se raccrocher à du divin !». À Sciences Po Paris, l’étudiant, qui n’a ni un nom ni un prénom juif, endurait les remarques antisémites de ses camarades sans se dévoiler. «Vous vous sentez tout seul ; vous êtes obligé de raser les murs, se désole-t-il. C’est un terrible sentiment d’impuissance ! Le fait que nos futures élites intellectuelles soient si endoctrinées m’a conduit à comprendre que j’allais devoir quitter mon pays».
En Israël, où il est allé faire des repérages, Max a croisé «de nombreux Français venant de milieux pas forcément très religieux, enthousiastes à l’idée de vivre dans une société qui a un projet». «Pourtant, on adore la France !, précise-t-il. On se dit que c’est elle qui nous quitte. Et puis j’ai le sentiment de pouvoir beaucoup plus servir la France depuis Israël». Max, «le premier de (s)a famille à faire (s)on alya», vient de trouver du travail dans la Tech. Il commencera sa nouvelle vie ce 7 octobre.
© Stéphane Kovacs
Source: Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/vous
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