Jean-Paul Sartre est mort un 15 avril 1980.
A son enterrement, la foule était dense pour l’accompagner au cimetière du Montparnasse.
Jamais depuis Victor Hugo, il n’y avait eu autant de monde pour le décès d’un écrivain.
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Le journal “Libération” en avait fait sa une.
Je me souviens qu’un journaliste de Libé avait fait un micro-trottoir parmi les étudiants de Quartier Latin.
Rue d’Ulm, devant l’Ecole Normale, les étudiants avaient parlé de la contribution de Sartre à la compréhension de la phénoménologie d’Husserl.
Rue des Saints-Pères, devant la Faculté de Médecine, d’autres étudiants avaient demandé si Sartre était décédé des suites d’un œdème aiguë du poumon…
“Libération” devait bien un tel hommage à Sartre. Bien qu’affaibli par 2 AVC et une demi-cécité, le philosophe avait accepté en 1973 d’en être le directeur de publication. Le journal fondé par d’anciens maos était menacé d’interdiction et de poursuites par le pouvoir politique.
Sartre avait promis une chronique hebdomadaire, promesse qu’il ne tiendra pas en raison de ses problèmes de santé.
Mais voilà sa première chronique :
“On m’a demandé de préciser mes positions face au conflit arabo-israélien. Les voici”.
“Il y a une nation israélienne. Les fondements de cette nation constituée en 1948 sont à la fois pour les Israéliens la tradition historique et le travail humain. La tradition renvoie à la période lointaine où les Hébreux habitaient la Palestine. On peut en contester la valeur ; voilà plus de 2 000 ans qu’à part une très petite minorité ils en sont exclus. Par contre, l’admirable travail fourni depuis le début de ce siècle, quand la nation israélienne n’existait pas encore, suffit comme disait Brecht dans “Le Cercle de craie caucasien” à justifier la présence des Juifs sur cette terre que personne n’avait jamais fait fructifier. La destruction par la violence de la nation israélienne est donc inadmissible”.
Une voix à gauche qui s’opposait déjà à la dérive antisioniste de l’extrême-gauche.
Libé avait publié l’article en grinçant des dents.
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Devant sa tombe, Simone de Beauvoir, soutenue par Claude Lanzmann, a failli tomber, brisée par l’émotion.
Sartre et de Beauvoir n’ont jamais vécu ensemble, et s’autorisaient des amours “contingentes”. Ils ont choisi de ne pas avoir d’enfants, de “ne pas se reproduire”, disait de Beauvoir. Ce qui n’a pas empêché leur puissante union charnelle et intellectuelle.
L’un ne pensait pas sans l’autre, les deux développaient leur pensée en s’appuyant sous le regard critique de l’autre.
Pour chacun d’eux, l’autre n’était pas “l’enfer”, mais était celui qui lui donnait toute sa liberté.
Ni Sartre, ni de Beauvoir ne croyaient en Dieu, mais ils ont pleinement vécu leur vie d’homme et de femme libres.
Simone de Beauvoir a écrit ces derniers mots dans “La cérémonie des adieux” :
“Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C’est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s’accorder”.
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Rue Froidevaux, le long des hauts murs du cimetière du Montparnasse, j’étais dans la foule des anonymes.
J’avais erré toute la journée sur le boulevard Saint Germain, incapable de me concentrer sur mes examens à venir.
J’avais haï ces touristes en terrasse, au Flore.
J’aurais voulu qu’il soit fermé en signe de deuil.
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