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Gérard Kleczewski. Banalité du mal, peur et vérité… Trois concepts vus à la loupe chez In Press Éditions

Fondées en 1997 par France Perrot, les éditions In Press publient chaque année près de 60 ouvrages autour de la psychanalyse, de la psychologie, du développement personnel, de la spiritualité et de la santé. Depuis plus d’un quart de siècle, l’équipe du boulevard de l’Hôpital à Paris s’est agrandie et développée, tout en conservant un haut niveau d’exigence intellectuelle, qui n’est pas antinomique avec la volonté d’être didactique et accessible au grand public, ainsi qu’une indépendance par rapport aux grands groupes de l’édition française. 

S’agissant du Judaïsme, In Press offre un panorama réjouissant d’ouvrages, dont récemment la 5ème édition mise à jour du livre du rabbin libéral Philippe Haddad « Pour expliquer le Judaïsme à mes amis » (https://www.inpress.fr/livre/pour-expliquer-le-judaisme-a-mes-amis/ ). Récemment, j’ai aussi évoqué dans ces colonnes l’excellent et très profond livre épistolaire d’Henri Atlan et Ariel Toledano “Croire et ne pas croire”*En mai 2022, sous la direction de Michel Gad Wolkowicz, sortait l’excellent livre choral “L’identité en question(s), qu’est-ce qui fait peuple ? Le sujet juif”, que j’avais eu la chance de chroniquer dans Tribune Juive. **Enfin, parmi beaucoup d’autres, je citerais la très bonne “Revue Pardès”, sous la direction de Shmuel Trigano, qui a abordé en février dernier – on ne peut plus en phase avec l’actualité brûlante d’Israël -, le sujet : “Qu’est-ce qu’un État juif ?”***. Ce, sous la plume de nombreux auteurs dont, outre Shmuel Trigano lui-même, Francine Kaufmann, Rony Klein, Pierre Lurçat, Gaëlle Hanna Serero, Yizhak Weisz, Michaël Wygoda, et quelques autres. 

Humanité et banalité du mal, avoir peur et la vérité

Voilà trois thèmes, et trois concepts, explorés avec brio par autant d’ouvrages chez In Press, et beaucoup d’auteurs à la clé.  

Le premier des thèmes est abordé dans le tome 2 d’un ouvrage en deux parties, résultant du travail de 19 docteurs en psychologie, sous la houlette d’Elisabeth Gontier, dont François Marty fut le directeur de thèse. 

Le premier opus avait abordé principalement la question centrale (“Devenir humain”) et s’inscrivait dans la tradition universitaire du “mélange”, autrement dit un ouvrage choral composé de textes dédiés à un maître (en l’occurrence François Marty) par ses amis et disciples. Les 19 docteurs en psychologie tentaient de répondre à la question “Qu’est-ce qui fait notre humanité ?” à partir de concepts psychanalytiques tirés de l’œuvre de Marty (héritage, transmission, appropriation et dépassement du savoir, …) mis en œuvre dans leur pratique clinique. 
Il mettait d’abord en lumière le rôle de la latence et celui de l’avènement de la génitalité à l’adolescence dans le développement du jeune sujet. Puis ils repéraient les achoppements du “travail de culture” caractéristiques de notre époque et comment les psychologues pouvaient intervenir pour tenter d’y remédier.

Dans le tome 2, il est question de cerner l’actualité ô combien riche de l’expression “la banalité du mal” chère à Hannah Arendt. Ce, dans les formes de destructivité rencontrées chez l’adolescent et l’adulte. Il est question de meurtres et d’assassinats, de la corrélation entre dangerosité et passage à l’acte, de violence de l’indicible dans les addictions, du rôle et de la mission du psychologue confronté au mal notamment à l’adolescence, du fantasme infantile et d’adolescent confronté à la violence réelle, de l’angoisse de la culpabilité, des paradoxes et des limites de l’interprétation des faits par la justice pénale ou encore du cadre thérapeutique envisageable en milieu carcéral… 
Des textes forts et éclairants qui dressent un panorama cohérent de cette banalité du mal, qui envahit nos vies publiques et privées, et tentent de trouver dans la psychologie et la psychanalyse “la” ou plutôt “les” réponses idoines.  

D’où vient la peur, comment s’aggrave-t-elle,

comment mobilise-t-elle ou immobilise-t-elle notre psyché ? 

Eprouvé individuel et collectif qui nous traverse tous, la peur est-elle mauvaise conseillère ? Elle tient en tous cas une place majeure dans la civilisation du 21ème siècle et s’invite dans la cure du côté du patient et parfois même du psy. 

“Il fait plus clair quand quelqu’un parle”, écrivait Freud en 1905 à propos du jeune enfant effrayé par l’obscurité. Et cette peur habite la chambre de l’enfant comme celle de l’adulte concerné par la mémoire de cette peur primale qui touche à la sexualité, à l’originaire et à l’inconscient, qui tisse en chacun d’entre nous ses fils épais et enchevêtrés. 
Si la peur en soi, comme celle de la réalité, peut favoriser la construction du sujet, elle peut être aussi, comme l’écrit Maupassant, “un spasme affreux de la pensée et du cœur”. 

Issus des actes 2023 de l’organisation psychanalytique du “quatrième groupe”, les textes produits par des auteurs de haut vol, dont Daniel Sibony, Isabelle Alfandary, Jean-François Chiantaretto Francis Drossart ou Pierrette Laurent, sont éclairants. Surtout dans un contexte post-Covid qui a, plus 
que jamais, exacerbé les peurs individuelles et collectives. 

Particulièrement instructifs et inspirants, le chapitre de Daniel Sibony, titré “Peur de l’origine et origine de la peur”, et celui de Pierrette Laurent, “Des peurs chevillées au corps”. Mais toutes les autres contributions sont à l’unisson, autour des craintes et des peurs, du déni de réalité qui vient s’opposer aux peurs collectives et aux douleurs indicibles. Parfois insondables. 

La vérité… Une conquête de tous les instants

Ultime concept, abordé dans un petit livre remarquablement écrit par le psychanalyste Gérard Bonnet : la vérité. Freud n’a-t-il pas évoqué sa pratique comme “fondé sur l’amour de la vérité” ? 

Si la vérité s’impose comme une exigence, comment la définir et en saisir les dimensions dans un monde où chacun croit pouvoir s’approprier la vérité au détriment des autres ?

A chaque étape de la vie, la vérité est une quête ou une conquête (en un seul mot). Faut-il la dire aux enfants ? Doit-on tout dire ou y a-t-il des mensonges qui méritent d’être tenus ? La famille, à l’origine de tout, est-elle le lieu où le vrai est possible, le véridique envisageable et le non-dit une tare ?  

Dans la première partie, Bonnet fait de Freud un conquistador, en perpétuelle quête de vérité et de sens. Influencé par la Bible, puisant sa légitimité dans les études universitaires et révélant un tournant méconnu (la vérité dans et par les psychotropes), l’expérience de Freud doit beaucoup en la matière à deux maitres (Charcot et Breuer). Un Freud influencé par trois courants culturels déterminants, dont la mise au point progressive de la notion d’inconscient, avec in fine une vérité perçue comme un idéal majeur pour la psychanalyse. 

La partie 2 se consacre à la vérité et sa révélation, ou pas, à l’enfant. Des idéaux à l’affect, du mensonge à l’inventivité, l’auteur se penche à travers le vécu de Freud sur les questions centrales :  “Doit-on tout dire” et “Comment le dire” ? 

La partie 3 confronte avec brio l’exigence de vérité aux origines familiales d’une part, aux agressions sexuelles d’autre part. 

Enfin, la partie 4, titrée “Chacun sa vérité”, confronte pulsion et idéal, vérité, éthique et symbolique dans la vie quotidienne. Elle s’interroge : “La psychanalyse est-elle vraie ?” à travers d’une part la théorie psychanalytique, d’autre part sa pratique exigeante et codifiée, puis ses interprétations et enfin ses modes d’intervention.  

La vérité, objet au plus profond de la psyché, à la fois pulsion incontrôlable et idéal quasi-inatteignable, comme un horizon Sisyphéen qui recule à mesure qu’on avance vers la mort…  

© Gérard Kleczewski 

Notes

https://www.tribunejuive.info/2023/03/10/gerard-kleczewski-croire-et-ne-pas-croire-telle-est-la-question/

** https://www.tribunejuive.info/2022/06/17/gerard-kleczewski-a-lu-lidentite-en-questions-quest-ce-qui-fait-peuple-le-sujet-juif-un-livre-exaltant-ecrit-il/

*** https://www.inpress.fr/livre/pardes-n61-shmuel-trigano-en-quete-de-lisrael-eternel/

Livres abordés dans cet article : 

Humanité : la banalité du mal. Sous la direction d’Elisabeth Gontier, dédié à François Marty. Éditions Inpress Hors collection – Psychologie  ISBN/EAN 978-2-84835-810-9 / 280 pages / 22€  https://www.inpress.fr/livre/humanite-tome-2/Avoir Peur. Collection « Actes du quatrième groupe », ISBN/EAN 978-2-84835-807-9 / 138 pages / 22€. https://www.inpress.fr/livre/avoir-peur/La Vérité, de Gérard Bonnet, collection Psy pour tous / ISBN/EAN 978-2-84835-826-0 / 184 pages / 12€ https://www.inpress.fr/livre/la-verite/

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