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Pourquoi Le Liban se vide de sa jeunesse?

«Le Liban se vide de sa jeunesse»

FIGAROVOX/TRIBUNE – L’émigration d’une partie de la jeunesse libanaise, étudiante ou diplômée, est une tradition, mais le mouvement actuel est d’une ampleur inédite. Les épreuves que vit le Liban en sont la cause, explique le professeur Samir Ayoub.

Ancien élève de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et de l’université Paris II-Assas, Samir Ayoub, franco-libanais, est professeur en sciences de gestion et directeur du campus d’Aix en Provence de l’ESSCA School of Management.
Je rentre du pays des Cèdres, et le constat est accablant: le Liban se vide progressivement de sa jeunesse. Frappé par une crise multidimensionnelle, le pays est devenu un cimetière pour des jeunes en quête d’opportunités et d’un futur meilleur.
Évidemment, ce phénomène d’émigration dans le but d’étudier ou travailler n’a rien de nouveau au Liban. Pourtant, l’hémorragie observée actuellement va bien au-delà de la tendance traditionnelle. Il faut quitter le pays et au plus vite: pour les étudiants et jeunes travailleurs, c’est devenu plus qu’une obsession, c’est dorénavant une question de survie.
Un retour sur l’histoire nous permet de mieux comprendre le mouvement actuel. En effet, l’ouverture au monde, la découverte d’autres cultures, les échanges internationaux sont des valeurs qui font partie de l’ADN du peuple libanais. Historiquement, le mouvement d’émigration des jeunes a commencé à l’occasion des deux guerres mondiales jusqu’aux années 50, en direction des pays d’Amérique Latine. C’est d’ailleurs là-bas que se trouve aujourd’hui la plus grande diaspora. Dans les années 60, l’Australie, en quête massive de main-d’œuvre étrangère, a ouvert largement ses portes aux jeunes Libanais. À partir des années 70 et afin de fuir la guerre civile, les vagues d’émigration se sont amplifiées et les Libanais sont partis dans le monde entier.
La France, l’Allemagne ou les États-Unis étaient des destinations prisées pour la poursuite d’études après un premier diplôme au Liban. Les opportunités pour travailler y étaient également nombreuses. Formés dans les universités libanaises, connues comme ayant le meilleur niveau du Moyen-Orient, les étudiants fraîchement diplômés et très souvent trilingues, n’avaient que l’embarras du choix. Les pays du Golfe, en forte croissance, étaient une destination recherchée, qui offrait des salaires élevés tout en ayant une proximité géographique avec le Liban. Venaient ensuite l’Afrique subsaharienne ou le Canada. La route de l’exil est donc connue de tous. Il n’y a pas une seule famille au Liban qui ne possède un membre installé à l’étranger.

N’étant plus ou peu payés (la livre libanaise a perdu 90% de sa valeur), ce sont les plus qualifiés et les plus brillants des médecins, avocats, ingénieurs et professeurs d’universités qui quittent progressivement le Liban en quête d’un avenir décent. Samir Ayoub

Mais depuis 2019, et l’émergence de la crise économique, le phénomène s’accélère dangereusement et s’élargit pour toucher non seulement les étudiants et les jeunes diplômés, mais aussi les jeunes travailleurs et les jeunes parents. N’étant plus ou peu payés (rappelons que la livre libanaise a perdu 90% de sa valeur), ce sont les plus qualifiés et les plus brillants des médecins, avocats, ingénieurs et professeurs d’universités qui quittent progressivement le Liban en quête d’un futur décent.
La plupart des pays susmentionnés ont certes perdu de leur attractivité à cause des crises récentes, mais peu importe la destination, l’essentiel est de partir afin d’éviter le chômage, le manque de subsides, l’humiliation quotidienne d’une vie de «survie». Certains jeunes quittent le Liban pour travailler pour moins de 1.000 euros mensuels dans les pays du Golfe ou en Afrique subsaharienne, les employeurs de ces pays ayant adapté l’offre salariale à la demande. Selon les estimations communiquées par la Sûreté Générale, ce sont plus de 100.000 personnes qui ont définitivement quitté le Liban en 2021, un record depuis la guerre civile.

A ce jour, l’ensemble de la population libanaise se trouve empêché de retirer ses économies des banques à cause de la crise économique. Cet état de fait entraîne pour les familles, une incapacité à payer les universités privées, non par manque de moyens mais par manque de liquidités. Samir Ayoub

Rappelons qu’à ce jour, l’ensemble de la population libanaise se trouve empêché de retirer ses économies des banques à cause de la crise économique. Cet état de fait entraîne pour les familles, une incapacité à payer les universités privées, non par manque de moyens mais par manque de liquidités. Dès lors, pour les jeunes, la poursuite d’études dans un pays dont les universités sont payantes comme les États-Unis ou l’Australie est devenue un luxe inaccessible.
La France, connue par l’excellence et la gratuité de ses universités, est de ce fait désormais la destination favorite des jeunes Libanais: les francophones naturellement, mais aussi les anglophones qui se mettent à réviser le français pour passer les tests nécessaires à l’obtention des visas.
Selon les statistiques communiquées par Campus France, le nombre d’étudiants libanais arrivés pour étudier en France est passé de 5.500 en 2017-2018 avant la crise à plus de 8.000 étudiants en 2020-2021. Pour les accueillir, plusieurs dispositifs d’aides ont été mis en place. Des universités comme Paris-Saclay ou Aix-Marseille ont par exemple décidé d’exonérer les étudiants libanais des frais d’inscription en 2020-2021 puis en 2021-2022. Aussi, le ministère des Affaires étrangères a mis en place un nouveau programme de bourse baptisé Maa’kum («avec vous») pour soutenir les étudiants les plus méritants.
Enfin, une solidarité s’est mise en place entre étudiants en France et étudiants au Liban à travers les réseaux sociaux à l’image du compte Facebook AULF (association des universitaires libanais en France) qui compte plusieurs dizaines de milliers d’inscrits.

Les jeunes Libanais [admis dans notre pays] sont conscients de la chance que la France leur offre pour accéder à des études et une professionnalisation de haut niveau, le décrochage ou le chômage ne sont en aucun cas une option pour eux. Samir Ayoub

En France, les jeunes Libanais ont tendance à épouser pleinement les us et coutumes françaises, tout en restant très attachés à leurs racines. Ils sont conscients de la chance que la France leur offre pour accéder à des études et une professionnalisation de haut niveau, le décrochage ou le chômage ne sont en aucun cas une option pour eux. Une pleine intégration pour seul objectif: faire preuve de résilience en toutes circonstances, accéder aux meilleures positions dans les grandes entreprises et contribuer à entretenir les liens amicaux entre les deux pays tout en préservant les intérêts de la France, eu égard au rôle géopolitique et commercial que joue le Liban dans la région.
Pour ces jeunes, l’unique ambition est de devenir la fierté et le soutien de la famille restée sur place. En effet, dans un pays où le positionnement social d’une famille se mesure grandement à l’aune de la réussite scolaire et professionnel des enfants, ces derniers ont tendance à utiliser la carte des études jusqu’au bout. Ainsi, pas question de s’arrêter à un master 2, la poursuite en doctorat est une voie quasi inéluctable. Selon Campus France, alors que le Liban n’est que le 10ème pays d’origine des étudiants étrangers en France, il se place à la 2ème place au niveau doctorat à l’université avec 35% du total des étudiants inscrits.

Cette tendance qui se creuse est loin d’être une situation optimale pour le Liban. Elle retardera inéluctablement le redressement du pays, cruellement privé de son capital humain. Samir Ayoub

Cette tendance qui se creuse est loin d’être une situation optimale pour le Liban. Elle retardera inéluctablement le redressement du pays, qui se trouve ainsi cruellement privé de son capital humain. Pour l’heure, il faut faire preuve de réalisme. Et considérer que c’est en grande partie grâce à l’aide financière envoyée par cette diaspora, que tant de familles sur place parviennent tant bien que mal à joindre les deux bouts.
Pour l’heure, rien ne peut enrayer cette fuite des cerveaux. Pas même les douze mois d’attente annoncés pour obtenir un passeport. Seuls des réformes sérieuses et un climat de confiance renouvelé pourraient permettre aux prochaines générations d’imaginer rester et s’épanouir pleinement au Liban. Les spécialistes estiment qu’un horizon aussi serein ne se lèvera pas au pays des Cèdres avant une bonne dizaine d’années.

Par Samir Ayoub  www.lefigaro.fr

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