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mar' 03 Déc' 2024

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Jonas, le prophète malgré lui…

Jonas, le prophète malgré lui…

par Maurice-Ruben HAYOUN

Le récit contenu dans ces quatre chapitres attribués à un individu presque inconnu des autres parties de la Bible hébraïque (II Rois), est unique en son genre. Jonas n’est même pas qualifié de prophète proprement dit. Il fait fonction de porte-parole de la divinité qui entend le charger d’une mission pour laquelle il n’est pas fait. D’ailleurs, s’il fallait pour cela s’en convaincre, il suffit de voir la rapidité de sa prise de décision : sitôt annoncé l’intitulé de la mission, Jonas, le prophète récalcitrant, décide de fuir, de s’éloigner de la face de Dieu, pour reprendre l’expression biblique.

Voyons de plus près ce que vise ce petit livre, chargé de démontrer selon moi que la clémence, la bienveillance de Dieu régissent l’univers dans son entièreté. Tant il est vrai que la miséricorde de Dieu n’a pas de fin… On a l’impression que cette divinité sage et pacifique, en un mot éthique, correspond aux doctrines majeures du monothéisme éthique. Jonas, par son contre-exemple, montre que les tendances de la religion et de la relgiosité évoluent ; par exemple on n’en est plus aux récits vindicatifs (la destruction des cités pécheresses Sodome et Gomorrhe du livre de la Genèse ou du livre de l’Exode où la divinité promet de se venger des fautes des uns et des autres sur plusieurs générations.
On se retrouve plutôt dans l’ambiance du chapitre XVIII du livre d’Ézéchiel qui donne une exégèse humaniste et bienveillante des avatars de l’existence : en interprétant le fameux adage décourageant en vogue sur la place du marché de Babylone, parmi les fils des condamnés : Les pères ont mangé le verjus mais ce sont les dents des fils qui en furent agacées… En d’autres termes : nos parents, nos ancêtres ont commis de graves fautes, ce qui leur a valu de sombrer dans un exil sans fin, mais ce sont nous, leurs descendants innocents, qui en payant les conséquences… Par conséquent, si Dieu pratiquait la justice, l’exil devrait cesser puisque la génération des pécheurs a fini par disparaître…
Il n’est pas impossible que le narrateur du livre ait eu à l’esprit cet avatar de l’histoire judéenne. Il semble faire écho au message divin du chapitre XVIII du livre de Ézéchiel : Dieu ne souhaite pas la mort du pécheur ! C’est la même leçon qui se tire du livre de Jonas, même si cela intervient à a son grand déplaisir : Dieu veut, d’intention première, sauver la vie des gens que leurs actions perverses destinent pourtant à la destruction et à la ruine.
Je reviens ici sur une formule de ce prophète au petit pied, une formule assassine que la divinité elle-même ne reprend pas à son compte : Encore quarante jours et Ninive sera un champ de ruines. Le compte à rebours a commencé et rien ne pourrait l’arrêter. Jonas a l’air content de lui au lieu de se montrer compatissant. La mort prochaine de milliers d’hommes et d’animaux ne le touche guère… On verra plus bas qu’il s’apprête à contempler tranquillement la le spectacle de la destruction totale de cette métropole. Il n’éprouve aucun sentiment de solidarité, alors qu’e le patriarche Abraham, parangon de lé générosité humaine, avait négocié pied à pied avec l’Éternel le sauvetage au moins partiel de la population des deux villes. Et bien plus tard dans l’histoire juive, l’exemple donné par Moïse qui refuse le verdict exterminateur de Dieu qui va éradiquer son peuple, coupable de l’avoir abandonné pour un vulgaire veau d’or… Moïse tient alors à Dieu à peu près le discours suivant : si tu en viens à exterminer ton peuple, alors commence par m’effacer de ton grand livre. Comme dans le cas d’Abraham et de Moïse, la divinité a, soit réduit la gravité du verdict, soit e elle l’a entièrement annulé puisque ce sinistre projet ne fut pas exécuté.
C’est cette tradition humaniste et cette divinité proche et amie des hommes que l’on parie de prendre en considération, même si le récit est surtout métaphorique et parfois fantastique ( je pense au cétacé ou monstre marin qui avait avalé et ensuite recraché Jonas depuis ses entrailles).
Je ne pense pas me montrer en disant que ce cétacé symbolise peut-être l’exil, malédiction suprême qui frappe le peuple d’Israël. L’exil ingurgite la vie, l’existence religieuse d’Israël, comme le monstre marin avale Jonas pour le ramener sur le terre ferme. Et comme la miséricorde de Dieu est grande, l’exil prendra fin.
Ne nous laissons pas égarer par toutes ces invraisemblances qui entourent un récit dont le but est l’édification morale et la réaffirmation de l’altérité divine. C’est Dieu qui a atout créé, c’est lui qui peut agir sur tout, nul espace de l’univers ne lui est interdit. Et ce n’est pas par hasard que les choses se déroulent ne pleine mer.
Ce n’est pas pour rien que la fuyard choisit Tarsis, la ville la plus lointaine par rapport à Jaffa où notre homme embarque. Dans sa juvénile présomption, il croit avoir placé tout un océan entre lui et son poursuivant divin qui finira par le rattraper. On aura remarqué que le narrateur détaille en quelques verbes précis les faits et gestes de Jonas : il se rend au port de Jaffa, trouve un navire, paie le prix de la traversée… et descend dans cale du navire où il s’allonge et finit par s’endormir. Dans sa simplicité d’esprit, Jonas se croit hors de portée : Dieu ne viendrait surement pas le persécuter dans la cale d’un navire en partance par une lointaine destination…
On n’échappe pas à son destin quand c’est la divinité qui en a décrété ainsi. Le narrateur n’a pas de difficulté à introduire la mer, une mer démontée, dans le cadre de l’action. Au fond, si l’on faisait de ce récit une pièce de théâtre, les personnages principaux seraient les suivants : Dieu, Jonas, Jaffa, le, navire, la mer démontée, les matelots , le chef d’équipage, le grand poisson, Ninive, le roi de la cité, les habitants de la cité le ricin, le ver de terre, le soleil, la hutte, la colère de Jonas, et la déception finale de Jonas. La tradition juive a ajouté quelques lignes d’hommage au Dieu souverain sur toute la tertre, sur terre comme sur mer.
IL est intéressant de relever que nous ne sommes pas en territoire hébreu ou judéen et pourtant le Dieu des Hébreux y est prépondérant. C’est lui qui calme la fureur des flots alors que toutes divinités étrangères (je parle de celles des marins) se révèlent inopérantes. Ce trait aussi est un élément du message : le Dieu des Hébreux ( c’est de cette façon que Jonas se présente à ses compagnons d’infortune : je suis un Hébreu et le Dieu créateur des cieux, de la mer et d la terre sèche est celui que j’adore…) On notera aussi que cette définition peut se présenter comme une définition de l’essence même du judaïsme. Le contenu juridico-légal de la religion est mis de côté. C’est l’aspect universel de l’innéité judéenne. La religiosité dépasse le cadre de la religion.
Un mot très bref sur les scrupules des membres d’équipage qui procèdent à un tirage au sort désignant Jonas comme le responsable de leur malheur… Je n’ai pas besoin de souligner que le rite du tira au sort n’a pas de fondements juifs. Il existe pour cela l’inerrance prophétique. Mais le sort tombe sur Jonas qui finit par raconter toute l’histoire. Les marins hésitent car en jetant un homme à la mer, c’est le condamner à mort… Ces hommes demandent à Dieu (le Dieu d’Israël) de les absoudre de ce péché grave : que ce sang innocent que nous faisons couler ne retombe pas sur nous. Ce scrupule montre que les valeurs du Décalogue affleurent ici même : toute vie humaine est sacrée (Lo tirtsah) : tu ne tueras point.
Et cela suffit à entraîner la «conversion» des marins lesquels offrent des sacrifices et vouent des vœux… Il existe donc un volet apologétique montrant que le Dieu d’Israël (le Dieu des Hébreux) a une vocation universaliste. Sa présence se veut conforme à un ordre éthique universel. Il sauve qui il veut, sa volonté est illimitée, ce qu’il a décidé de faire, il le fait : il a décidé d’envoyer Jonas à Ninive, il l’a fait, il a décidé d’enfermer son envoyé dans le vendre d’un monstre marin, il l’a fait. Il a décidé que Jonas irait jusqu’au terme de sa mission, Jonas a été contraint de se soumettre. Je crois me souvenir que Moïse lui-même a tenté de se défaire de sa mission confiée par Dieu. Mais il n’est pas allé aussi loin que son lointain successeur Jonas.
Ce livre de Jonas veut montrer qu’une conduite éthique est la seule exigence que la divinité formule à l’intention de l’homme. Il s’agit de faire le bien et de bannir le mal. C’est presque du déisme, mais l‘héritage judéen ou juif n’est pas entièrement relégué au second plan. Mais tout de même, pas une fois, le mot Torah n’est mentionné… Par contre, lorsque la conversion de la grande cité est effective, les méthodes de la piété retrouvée sont détaillées : jeûnes de trois jours pour tous les êtres vivants, le roi quitte son trône et revêt un costume de deuil ; ses ministres n font de même. Et en conclusion de ce repêchage, Dieu agrée cette piété.
On est bien d’accord, le livre illustre superbement l’existence de la miséricorde divine. Mais la grâce divine présuppose aussi l’existence de la prière. C’est un élément central car même dans les entrailles du monstre marin, Jonas s’adresse à Dieu, vantant sa grande clémence et son souci d’accueillir les pécheurs. Or, Jonas lui-même est un pécheur puisqu’il a fui de devant la face de Dieu et a tenté de désobéir à l’oracle divin.
La prière, Dieu est sensible à la prière. C’est le second enseignement de cette histoire. On y évoque même le sanctuaire, le temple. Jonas fait amende honorable et se soumet, non sans s’être un peu ridiculisé en se montrant plus royaliste que le roi. Si Dieu recherche la vie et accorde son pardon, l’homme, sa créature, n’ a plus rien à dire. Il y a une disproportion voulue dans certains cas : Jonas et le monstre marin qui l’engloutit, le ricin et le ver de terre qui le dessèche, et enfin le dégât matériel dont souffre Jonas et sa volonté de mourir… pour si peu.
Sur ce dernier point, la démonstration est sans équivoque : Jonas ne se soucie pas du malheur potentiel susceptible de s’abattre sur des dizaines de milliers d’êtres humains et d’animaux alors qu’il n’y a pris aucune part. Et même Dieu a conscience de l’énormité de ce massacre qu’il s’interdit de commettre.
Comme le rappelle le Midrash, les portes du repentir sont toujours ouvertes. C’est l’enseignement premier de ce petit livre biblique que la tradition vénérable a eu raison d’intégrer dans les 24 livres de la Torah.
Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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