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Un enfant des favelas de Rio devient un artiste prometteur en Israël

Alexander Especie rejoint d’autres expatriés brésiliens à Raanana, une ville du centre d’Israël, que lui et d’autres artistes s’emploient à embellir par l’art

JTA – Ce qui a attiré l’œil de Crystal Frant sur le skateur Rastafari qu’elle a repéré sur la plage à côté de Rio de Janeiro en 2006, ce n’était ni son corps musclé, ni ses dreadlocks. C’était, parmi ses nombreux tatouages, l’étoile de David aussi grande qu’une main.

« Tu crois qu’il est juif ? » a-t-elle demandé à un ami avec excitation.

Frant, née à Rio, savait que de nombreux routards israéliens voyagent dans la région pendant le carnaval et, alors qu’elle rentrait au Brésil après 10 jours passés en Israël dans le cadre du programme Taglit, elle espérait qu’il soit l’un d’entre eux.

En fait, Alander Especie, qui a grandi dans un bidonville de Rio, n’était ni israélien ni juif – mais il s’est avéré être le bashert de Frant, le mot yiddish que ses grands-parents polonais et roumains utilisaient pour désigner l’âme sœur.

« Vous devez aller un jour en Israël », lui a-t-elle dit lors de cette première rencontre sur la plage.

Près de 15 ans plus tard, Especie a non seulement visité Israël, mais il y vit. Avec Frant et leurs deux fils, l’artiste en devenir est devenu citoyen en 2016 et travaille maintenant comme assistant-maternelle tout en essayant d’embellir sa ville d’adoption de Raanana.

« Ce n’était pas que stam », a déclaré Especie à la JTA, utilisant le mot hébreu très polyvalent qui se traduit entre autres par « par hasard ». « Je crois fermement que c’était le destin. »

Raanana, une banlieue haut de gamme de Tel Aviv qui a attiré de nombreux immigrants anglophones, est loin de sa Vila Vintem natale, l’une des favelas les plus violentes et vulnérables de Rio, en proie à l’extrême pauvreté et aux gangs de trafiquants de drogue. C’est là que Especie est né il y a 44 ans, dans une famille vivant dans une cabane en bois de 9 mètres carrés, noyée par la boue et l’argile au moment des pluies.

« Nous avions l’habitude de nous cacher sous le lit pour nous protéger des balles perdues des fusillades. Nous devions souvent enjamber des cadavres pour entrer chez nous », raconte-t-il. « Aujourd’hui, je pense à tout cela comme à une simulation de guerre ici en Israël, quand nous sommes censés nous réfugier dans des bunkers. »

Quand Especie avait 5 ans, sa famille a quitté la favela pour une maison située à côté de l’aéroport international de Rio, mais ils rendaient régulièrement visite à leurs proches restés là-bas – notamment son grand-père et les 11 frères et sœurs.

Especie a vécu comme un adolescent rebelle, engagé dans des graffitis de rue, pour lesquels il a été sévèrement puni par son père, assez conservateur. Il a obtenu un diplôme dans la mode, et travaillait dans des boutiques pour hommes en partageant une petite chambre avec sa sœur chez ses parents, lorsqu’il a rencontré Frant, une graphiste qui menait une vie aisée dans le quartier chic Lagoa de Rio avec sa famille juive, propriétaire d’une marque populaire de vêtements pour femmes.

À cette époque, Especie avait commencé à percer en tant qu’artiste multidisciplinaire, travaillant dans la sculpture, la peinture et les arts textiles. Ses balançoires colorées en macramé, un textile produit par technique de nouage, étaient exposées à plusieurs endroits, notamment au parc national du Xingu, un territoire indigène de la forêt amazonienne. (Deux chaises qu’il a produites en 2014 se sont vendues aux enchèresl’année dernière pour des milliers de dollars chacune.)

Peu après leur rencontre sur la plage, ils ont emménagé ensemble et se sont vite mariés. Leur premier fils, Sion, est né en 2010. Cinq ans plus tard est venu Noah. Mais en 2016, le couple a décidé que l’avenir de leur famille ne se poursuivrait pas au Brésil. Ils ont demandé à immigrer en Israël, dans le but d’élever leurs enfants dans un endroit plus sûr et socialement plus égalitaire. Un déclin des ventes de l’entreprise familiale de Frant était le dernier coup de pouce dont ils avaient besoin.

« Mon lien avec le Brésil est très fort et infini, mais le pays est plongé dans le chaos politique, économique et social » a expliqué Especie, ajoutant qu’il détestait la corruption qui caractérise une grande partie de la politique brésilienne.

Israël dispose d’une infrastructure robuste pour accueillir les nouveaux immigrants, qui inclut une aide pour la paperasse et des mois de formation intensive en hébreu. La famille a été accueillie au centre d’intégration de Raanana, une ville de 75 000 habitants, qui abrite aujourd’hui la plus grande communauté brésilienne d’Israël avec près de 300 familles.

« Raanana a la chance d’accueillir des immigrants pourvus d’une expertise dans les domaines de l’art, de la musique, du sport et plus encore », a déclaré Nehama Efrati, elle-même immigrée de France, directrice du service municipal d’intégration depuis 22 ans. « Ils apportent beaucoup à la mosaïque humaine de la ville. »

La loi israélienne permet à tout Juif de revendiquer la citoyenneté, et elle accorde également la citoyenneté aux conjoints non-juifs d’immigrants juifs (après un an de mariage). Cela signifie qu’Especie fait partie des 2 % de la population israélienne qui ne sont ni juifs ni arabes.

Il dit se sentir chez lui, en partie parce qu’il soupçonne avoir lui-même des racines juives. Comme beaucoup de Brésiliens, Especie est multiracial, avec des ancêtres européens, africains et indigènes, et il a grandi en allant à l’église tous les dimanches. Mais il note que le nom de jeune fille de sa mère est Braz – un nom de famille brésilien relativement courant qui, selon lui, pourrait également être une abréviation pour les adeptes d’un rabbin lituanien du XVIIIe siècle nommé Alexander Ziskind.

Especie a appris l’existence de Ziskind peu de temps après sa rencontre avec Frant, lorsqu’ils ont suivi un cours de base sur la kabbale dirigé par Shmuel Lemle, un enseignant brésilien au Centre de la Kabbale de Rio.

« Quand j’ai découvert la kabbale, c’est toute ma façon de voir l’univers et moi-même qui a changé », a déclaré Especie. « Je suis toujours à la recherche de mes origines. »

C’est grâce à cette découverte qu’Especie a fini par se faire un tatouage rappelant le tableau ésotérique des sefirot de la kabbale, ou attributs mystiques, qui couvre tout son avant-bras gauche. (Il a depuis ajouté les noms de sa femme et de ses enfants en hébreu.)

Comme beaucoup d’Israéliens aujourd’hui, le couple mène une vie essentiellement laïque. Mais bien qu’il ne se soit jamais officiellement converti au judaïsme et ne se sente pas tout à fait à l’aise dans une synagogue, Especie trouve sa force dans les rituels juifs. Il a commencé à mettre des tefillins, les phylactères portés par les Juifs pratiquants pendant les prières du matin en semaine, peu de temps avant la naissance de son deuxième fils, après que le père d’un ami juif proche lui en ait offert une paire. Maintenant, il prie quotidiennement avec les tefillins.

« J’enseigne à mes enfants l’importance de mettre des tefillins », dit-il. (Une fille, née en Israël, Liz, a rejoint ses deux frères aînés en 2017.) « Si chaque Juif portait des tefillins, Israël serait entouré d’un bouclier d’énergie impénétrable. »

À Raanana, Especie travaille à plein temps comme assistant-maternelle dans un jardin d’enfants municipal, une profession qui paie environ 10 dollars de l’heure et qui est populaire comme premier job parmi les nouveaux immigrants, car ça les aide à améliorer leurs compétences de base en hébreu.

« J’ai toujours été respecté. L’année dernière, plusieurs parents ont signé une pétition pour demander à la municipalité que je continue avec leurs enfants. C’était vraiment très émouvant pour moi », a déclaré Especie.

Mais le soir et le week-end, il travaille dur pour booster la carrière artistique qu’il a entamée dans son pays natal. Il a commencé par peindre sur des toiles abandonnées qu’il avait trouvées sur son pâté de maisons, puis a rejoint un projet parrainé par la ville pour peindre des boîtiers électriques dans les rues en 2017.

Les débuts officiels d’Especie en Israël ont eu lieu en 2018 avec une exposition au Centre culturel brésilien de Tel Aviv.

En 2019, il était l’un des 10 artistes internationaux à exposer à Tel Aviv pour marquer le 80e anniversaire de la création du super-héros Batman. Et en 2020, il a rejoint d’autres artistes immigrés lors d’une exposition à la galerie Raanana Park.

« Avec tout le respect que je dois aux victimes de la COVID-19 et à leurs familles, ce fut une année incroyable pour moi », a déclaré Especie, qui a été vacciné début janvier en raison de son poste au sein du système éducatif.

À la fin de l’année, une galerie israélienne a décidé de mettre en ligne le portfolio d’Especie en hébreu. Début 2021, il s’est également engagé dans un nouveau projet d’application de ses dessins sur tapis et papiers peints. Pourtant, Especie dit qu’il a encore un long chemin à parcourir avant d’arriver au niveau professionnel qu’il avait atteint au Brésil.

« Le marché de l’art en Israël est le summum de la niche par rapport au Brésil, en particulier à Rio, où nous respirons l’art 24 heures sur 24. Le réseau que j’avais me manque vraiment », dit-il. « Ici, je rame encore. »

« Israël », a-t-il ajouté, « est l’apprentissage le plus important et le plus intensif de ma vie. »

Chaim Broide, le maire de Raanana, affirme soutenir Especie et tous les autres artistes immigrés de sa ville.

« Mon conseil est de continuer à faire ce qu’ils aiment et de croire en leurs capacités. Ils font honneur à notre ville et enrichissent notre culture, notre art et notre communauté », a-t-il déclaré à la JTA. « Nous les aiderons à grandir avec leurs rêves. »

 

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