Le Likoud arrive en tête selon les premières projections, mais le premier ministre a dû tempérer son premier enthousiasme. Une certitude : les suprémacistes juifs d’Otzma Yehudit vont entrer au Parlement.
Quelqu’un avait oublié de lâcher les ballons. Vers trois heures du matin, mercredi 24 mars, dans la salle de réception désertée de Jérusalem où Benyamin Nétanyahou venait de donner son discours le plus court (10 minutes) et le plus sobre au soir d’une élection législative, un ruban de ballons bleu et blancs, aux couleurs d’Israël, dégringole sur les chaises vides. La quatrième journée électorale depuis avril 2019 s’achève dans l’indécision, encore une fois, et sans discours de victoire.
Le premier ministre a dû tempérer son premier enthousiasme, exprimé en ligne alors que les sondages de sortie des urnes lui donnaient une infime majorité de 61 sièges sur 120, vite effacée. Il en appelle à la responsabilité de ses rivaux. « Nous ne devons pas traîner Israël vers de nouvelles élections, vers un cinquième scrutin »,plaide-t-il, lui qui porte pleine responsabilité pour la tenue de ce quatrième vote. Le sort d’Israël se décide sur quelques milliers de voix : avec 70 % des bulletins dépouillés mercredi matin, sa majorité se dessine de nouveau à l’aube. Le décompte définitif est attendu en fin de semaine.
Une certitude : M. Nétanyahou remporte un premier succès tactique et peut avancer le récit d’une droite dominante, en passe de se réunifier. Son parti arrive sans surprise en tête, avec 31 sièges. Il pourra également s’appuyer sur un vote ultraorthodoxe d’une stabilité de granit (17 sièges) et parvient à contenir les défections d’anciens alliés. En chute libre avec six sièges, Gideon Saar constate que les électeurs du Likoud ne sont pas tendres pour ceux qui le quittent.
Naftali Bennett, ancien collaborateur du premier ministre, éconduit et blessé, chute lui aussi dangereusement. Mais M. Nétanyahou ne peut espérer former un gouvernement sans ce leader du sionisme religieux (Yamina, sept sièges), qui se rêve en faiseur de roi. Mercredi soir, M. Bennett a souhaité attendre les résultats définitifs, tout en rappelant ses états de service d’homme de droite. Il se dit déterminé à lutter contre « les gangs de Bédouins qui font régner la terreur dans le Sud d’Israël » et à « corriger la force excessive du système judiciaire », qu’il considère comme un frein à la colonisation des territoires palestiniens.
Pacte faustien
Seconde certitude : si M. Nétanyahou triomphe, il devra son salut à un pacte faustien. Il fait entrer au Parlement les suprémacistes juifs d’Otzma Yehudit, le parti des colons les plus extrêmes, héritiers du rabbin Meir Kahane.
Dans les années 1980, avant que ses précurseurs ne soient bannis de la Knesset, le député du Likoud Michael Eitan comparait point par point leur programme de subjugation des Palestiniens aux lois nazies de Nuremberg. Aujourd’hui, leur alliance avec l’extrême droite religieuse et une formation homophobe leur promet six sièges sur les écrans de télévision.
Face à un gouvernement qui pourrait s’avérer le plus à droite de l’histoire d’Israël, l’opposition est divisée. Il lui sera difficile de proposer autre chose qu’un match nul et un cinquième scrutin. Sa locomotive, le parti centriste Yesh Atid de Yaïr Lapid, ne franchit pas pour l’heure la barre des vingt sièges (dix-huit).
Une dernière certitude : les Israéliens sont las. Ils avaient voté avec abnégation durant les trois dernières élections à près de 70 %. Aujourd’hui, le taux de participation chute à 67,2 %, au plus bas depuis 2009, l’année du retour de M. Nétanyahou au pouvoir.
Bureau de vote aménagé en « drive-in »
Mardi, le pays a connu une première journée électorale déconfinée, fruit de la campagne de vaccination le plus rapide au monde, sur lequel M. Nétanyahou a bâti son combat. Plus de 3 000 nouveaux bureaux de vote ont ouvert à travers le pays (20 % de plus qu’en mai 2020), afin de réduire l’affluence et les risques de contamination. Des volontaires y ont incité les électeurs à s’écarter les uns des autres, et à se passer les mains au gel avant et après avoir touché les urnes.
Sur le parking du stade Teddy de Jérusalem, une valse de taxis, payés par l’Etat, vont et viennent à travers un bureau de vote aménagé en « drive-in » pour les Israéliens testés positifs au Covid-19, et pour ceux qui demeurent astreints au confinement à domicile, parce qu’ils ont fréquenté un malade ou qu’ils sont revenus récemment de l’étranger. Un employé en tenue de protection intégrale avance vers leur portière l’urne électronique, montée sur roulettes. L’Etat a ouvert également des bureaux de vote dans les hôtels de confinement, dans les départements des hôpitaux dédiés au Covid-19, dans les maisons de retraite et à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv. Il faudra plusieurs jours à la commission centrale pour dépouiller ces bulletins, ce qui rend les premiers résultats plus incertains encore.
Près du bord de mer, à Tel Aviv, des activistes au volant d’une voiture barrée d’autocollants « crime minister » rappellent aux plagistes que les phases d’audience du procès de M. Nétanyahou pour corruption doivent s’ouvrir dans douze jours. Elles promettent d’influer sur les négociations entre partis. Le temps est lourd, humide et chargé de sable. Cela ne décourage pas les surfeurs de profiter de courtes vagues. Sur la plage, Metan Noti, 29 ans, a fait son devoir : il vient de voter pour le parti Bleu Blanc du général Benny Gantz, qui incarna durant les précédents scrutins l’alternative à M. Nétanyahou, avant de s’écrouler en acceptant de le rejoindre dans un gouvernement de coalition.
En Israël, on appelle le choix de M. Noti un vote « stratégique » ou « de pitié ». « Je ne crois plus que Gantz vaille grand-chose. Mais s’il ne passe pas, ce sont des dizaines de milliers de bulletins contre Nétanyahou qui seront gâchés », soupire-t-il. M. Noti pourrait avoir gagné son pari : Bleu Blanc paraît sauvé (huit sièges), tout comme les travaillistes (huit) et la formation de gauche Meretz (six). Seuls les islamistes de Raam passent pour l’heure sous la barre, alors que l’électorat arabe (20 % de la population) paraît démobilisé : les trois autres partis arabes s’effondrent (six sièges).
Les divisions d’Israël portées à incandescence
M. Noti n’a pas ouvert un quotidien d’information durant toute la campagne. Il reconnaît les accomplissements du premier ministre. Le vaccin, la normalisation en cours avec plusieurs Etats arabes (Emirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan) : un succès de « visionnaire », que M. Nétanyahou prédisait seul dès les années 1990. Mais son procès et ses alliés le « dépriment ». Alors où est l’avenir ? M. Noti ne se reconnaît plus dans aucun dirigeant israélien. A la rigueur, il trouve « une stature » à M. Bennett, ancien ministre de la défense. Mais il craint que celui-ci ne s’offre sur un plateau au premier ministre.
S’il est encore un enseignement à tirer de ces résultats électoraux précoces, c’est que le scrutin n’a en rien atténué les divisions d’Israël, portées à incandescence depuis deux ans. Un monde d’animosité sépare cette plage de Tel-Aviv de Bnei Brak, la capitale en Israël des juifs ultraorthodoxes, à quelques kilomètres au nord.
En ce jour de vote, les artères commerçantes y sont bondées. Les femmes entrent et sortent dans les magasins, les hommes gardent les enfants sur le trottoir. Les masques sont désormais optionnels : la vaccination fait merveille dans cette communauté, qui a subi depuis un an un nombre disproportionné de morts dues au Covid-19.
Pour Yellin Yoseph, 63 ans, l’enfer est derrière eux. La plupart de ses sept frères ont été contaminés puis s’en sont sortis. Mais M. Yoseph déplore la perte de dizaines de rabbins âgés et influents : « Une hécatombe », dit-il. M. Yoseph n’en veut pas aux responsables religieux et politiques des haredim, qui portent pourtant une lourde responsabilité dans ce désastre. Nombre d’entre eux ont refusé que leur communauté se confine, suscitant au passage l’ire du reste du pays. Mardi, M. Yoseph a voté comme toujours pour le parti Judaisme unifié de la Torah, allié de M. Nétanyahou. Il souhaite que l’Etat maintienne ses subventions aux yeshivot, les écoles religieuses : « Nous nous reposons sur les rabbins. Ils nous disent ce qui est bien et nous obéissons. »
Ce bon croyant ne lit pas les journaux. Il n’a pas de smartphone, mais il sait pourtant qu’une minorité au sein de la jeunesse haredi prend des libertés dangereuses avec les consignes de vote des rabbins. Après le désordre qu’a créé l’épidémie, ils basculent vers l’extrême droite religieuse. Cette jeunesse parait avoir contribué à la percée des suprémacistes juifs d’Otzma Yehudit dans le scrutin du 23 mars. Une fusion d’avenir, à en croire l’image qu’affinait à l’aube le décompte des votes.